S’opposer à la repentance dévoyée

06/06/2017 0 Par admin

 Qui ne connaît Philippus, vieillard un brin inquiétant de l’Etoile Mystérieuse? Il nous introduit dans le vif du sujet: reconnaissons nos fautes avant le juste châtiment qui nous tombe du ciel! Eh bien, sachez que les Philippus sévissent en notre pays: ils le tiennent sous leur sinistre empire depuis des décennies.                                             

                                  Pénitence! Repentance! Contrition!

Personnellement, je me reconnaîtrai plus volontiers dans le personnage de Tintin: perplexité d’abord, puis volonté de réagir.

 REPENTANCE, de quoi parlons-nous ? Un peu de sémantique.

Effectivement, la repentance doit conduire à la pénitence ; c’est une notion à forte connotation religieuse, pas seulement catholique. Elle se distingue du repentir, démarche plutôt personnelle donc privée, la repentance présentant un caractère public.
Strictement, il s’agirait du « regret de faute commise avec promesse de réparation ».
En fait l’usage actuel en élargit le sens au « sentiment de culpabilité » ou bien à la « culpabilisation », le fait de transmettre ou même d’imposer à l’autre un sentiment de culpabilité. Je vais par la suite naviguer entre ces trois significations.(1)

Le sentiment de culpabilité, s’il est pris en compte par les religions n’en est pas une création. L’enfant est susceptible d’éprouver très tôt des sentiments de culpabilité, en dehors de toute responsabilité des parents.
A une autre échelle, celle de la nation, le sentiment de culpabilité ne semble pas nécessairement associé à la vie politique, ni même représentatif d’un type particulier de régime. Celui de Vichy en 1940 s’y est référé explicitement et l’actuel régime de Corée du Nord semble aller beaucoup plus loin. C’est ainsi que les Coréens du Nord ayant fui leur pays expriment le plus souvent un fort sentiment de culpabilité, celui de la désertion.

La repentance dont il est question aujourd’hui s’enracine dans l’histoire. Elle semblerait s’être particulièrement développée à partir des années cinquante, tout au moins en France. Le phénomène américain, plus récent et bien que se référant explicitement à la France, ne sera pas pris en considération. Par ailleurs, nous n’en retiendrons ici qu’une forme, dominante aujourd’hui :   la repentance coloniale.

Cette intervention ne prétend pas révolutionner un débat ouvert depuis des décennies. Par exemple lorsque le Cercle Algérianiste, créé il y a déjà plus de 45 ans (novembre 1973), se propose de « défendre notre histoire et rétablir la vérité », il entre de plain-pied dans le débat et le poursuit encore activement aujourd’hui (2).

 Manifestations de la repentance coloniale

C’est ainsi que Thierry Rolando s’était réjouit de la clôture annoncée du «mandat de la repentance», celui de François Hollande.
Il avait tout à la fois tort et raison.
Raison parce que l’on n’était jamais allé aussi loin dans la repentance, tout au moins dans nos relations avec l’Algérie (3). Il s’agit tout d’abord des :

Commémorations

En parler en vaut-il la peine ? Commémorer, serait-ce plus que consoler d’anciens nostalgiques d’une époque révolue?

Il se pourrait bien :

les commémorations participent à l’état d’esprit d’un pays, tout au moins lorsqu’elle sont en accord, en résonance avec d’autres formes de manifestations et d’expression. C’est le cas pour l’Algérie:

Retournons par exemple quelques années en arrière. Sitôt intronisé par les primaires de la gauche en 2011 avant même son accession à l’Elysée, le candidat du Parti Socialiste se rendait le 17 octobre au Pont de Clichy, commémorant la manifestation du FLN de 1961. Une priorité qu’il confirmera, une fois Président.

La commémoration du 8 février 1962, connue comme celle du métro de Charonne, est sensiblement différente puisque l’ événement opposa les Français métropolitains entre eux (neuf morts à la fois membres de la CGT et du PCF, à une exception près) , mais relayée notamment par le monde du spectacle (Leny Escudero, Renaud, film Diabolo menthe etc.), et quelques odonymes (Place du 8 février inauguré par Delanoé en 2007 etc.) elle a participé avec encore plus d’ampleur que la précédente à la même repentance.

Enfin la commémoration du 19 mars 1962 est au premier plan (4). A elle seule elle exigerait tout un exposé. Les municipalités ont multiplié les odonymes (nom de rues, mais aussi de chemins, de places etc.), ces dénominations se comptent dorénavant par centaines pour plus de 36000 communes il est vrai. A noter son absence des départements d’outre-mer, de la Corse, de la Haute-Savoie (le département des Accords d’Évian) et de Lyon, un seul odonyme en Alsace, mais c’est en Rhône-Alpes qu’il est le plus fréquent, 142 en 2015.

Depuis novembre 2012, le 19 mars 1962 est même devenue journée nationale du souvenir « des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie», autrement dit nous commémorons en même temps les victimes dans le camp français et dans celui du FLN qui déclara une guerre à la France, guerre reconnue en tant que telle seulement en 1999. Rappelons que la journée du 11 novembre commémore la Victoire, la paix (loi de 1922) et la reconnaissance du pays pour l’ensemble des morts… pour la France (loi du 28 février 2012).  Quant au 8 mai, il reste largement consacré à la capitulation du Reich (5), la libération d’Orléans par Jeanne d’Arc demeurant anecdotique (E. Macron s’est pourtant rendu à Orléans le 8 mai 2016); concurremment les événements de Sétif sont dorénavant mentionnés, par exemple sur les réseaux sociaux notamment Le Monde.fr (2012). (de même Rebbelyon-Info site engagé ouvert depuis 2005, Mediapart, etc…).

 

Déplacement du chef d’État en Algérie

La manifestation de cette repentance sera tout aussi évidente lors du déplacement du Président Hollande en Algérie, bien qu’il s’en soit défendu expressément (6)  :

Video parlement algérien 2012

«  Rien ne se construit dans la dissimulation, dans l’oubli et encore moins dans le déni. La vérité, elle n’abîme pas, elle répare, la vérité elle ne divise pas, elle rassemble. Alors l’histoire, même quand elle est tragique, même quand elle est douloureuse pour nos deux pays, elle doit être dite et je vais la dire ici devant vous.

Pendant 132 ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal ; ce système a un nom, c’est la colonisation et je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligé au peuple algérien. »

COMMENTAIRE : tout d’abord il nous faut mesurer le poids, la gravité de ces propos. Ce discours est prononcé devant un Parlement réuni en session extraordinaire (reste à vérifier), relayé par la TV, les réseaux sociaux  etc; il ne peut être considéré à la légère. Notre Président a t-il conscience de s’adresser à un aréopage de profiteurs, mettant quasiment le pays en coupe réglée depuis 1962; pas vraiment un confesseur d’une haute spiritualité. 
Peut- on parler d’une déclaration, d’un acte de repentance majeur ?

Dans un sens strict, réducteur, la réponse serait négative. Aucune promesse de pénitence, c’est à dire de réparation concrète, matérielle, pas même de regret clairement formulé. En revanche, la faute de la France est clairement affichée au nom de la vérité historique. Nous sommes bien dans la reconnaissance d’une culpabilité et , dans un sens large et le plus couramment admis, dans la repentance (7).

Qu’en espérait notre chef de l’État, qui, n’en doutons pas , exprimait ici des convictions profondes sachant que l’exercice, dans ces circonstances, ne peut faire dans les nuances ? Il parle de réparer, il faut comprendre réparer dans les esprits.
En parcourant la littérature des repentants ( Gilbert Manceron, LDHT etc.), le sens de cette démarche transparaît: ils n’en espèrent pas moins que l’apaisement général, le retour de la sérénité. Voyons-voir:
Lors de son passage à Tlemcen, le Chef de l’État pourra apprécier l’accueil qui lui est réservé.  Une confirmation  du bien-fondé de sa démarche ?

Video Tlemcen  F Hollande est accueilli par une charmante petite chorale.

Magnifique, que dire de plus ? J’avoue qu’à la place de F Hollande, j’aurais eu chaud au cœur.

En fait, cette démarche candide de repentance n’a nullement atteint son  objectif : si notre Président croyait apaiser nos relations avec l’Algérie, il a eu tout loisir de constater son échec. Les observateurs n’ont guère constaté d’évolution positive durable suite au discours d’Alger. La relation d’État à État, après une courte embellie effectivement suite à cette visite de 2012, a retrouvé le niveau de défiance traditionnel. Quant à l’évolution de l’opinion publique algérienne, ce serait encore pire, d’autant que le « système » avec Gaïd Salah tente, plus que jamais, de détourner la colère de la rue vers la France.   https://www.bvoltaire.fr/aux-abois-le-gouvernement-algerien-menace-la-france-bien-sur/

Peu de chance que François Hollande et son entourage aient bien mesuré la grande maladresse de cette prétendue déclaration de vérité. La France en effet se prétend responsable des maux dont souffrent ses interlocuteurs algériens, tout en faisant savoir que la seule reconnaissance de ses « fautes » se suffit à elle même sans autre contrepartie, sans la moindre réparation concrète.

                                        À la candeur s’ajoute l’inconséquence.

Loin de moi, pour autant, l’idée de proposer une quelconque pénitence ou réparation pour une repentance qui n’a pas lieu d’être (8). N’ayons pas peur des mots, il s’agit bel et bien  de repentance dévoyée (du verbe dévoyer : « faire sortir de la voie du bien ou du vrai » Larousse 3 vol, et ajoutons « du juste »).

Une Repentance dévoyée car  injustifiée et néfaste

Une Repentance injustifiée:

D’autres ont défriché ce terrain là,  avec plus d’expertise que je ne saurais en faire preuve. Comment rivaliser par exemple avec Daniel Lefeuvre, prématurément disparu, auteur entre autres de « Pour en finir avec la repentance coloniale » (Flammarion 2006) et d’un site sans équivalent et toujours très actif « Études coloniales » http://etudescoloniales.canalblog.com/ ?

La richesse, la diversité, la finesse des nombreuses analyses et de l’abondante argumentation ne sont cependant pas toujours un atout. Clarté et simplicité n’y gagnent pas nécessairement. Aussi contentons-nous de revenir sur un point, essentiel, à savoir l’usage fait du mot colonisation, ce « système profondément injuste et brutal » censé avoir fait souffrir le peuple algérien pendant 132 ans (9).

D’abord refuser le piège de vocabulaire . Colonisation ? Laquelle au juste ?

A l’heure présente ce mot, « colonisation » a une connotation fort négative qu’il est loin d’avoir toujours eu. Pour illustrer ce changement : aujourd’hui encore la colonisation romaine de la Gaule évoque une réalité plutôt positive . Munatius Plancus le fondateur de Lugdunum en 43 av JC est bel et bien un colon (la ville s’appelle d’abord « Colonia Copia Felix Munatia= la colonie prospère et heureuse de Munatius  » ), auquel s’associe encore une image de civilisation.

Tout a basculé de nos jours,  le mot a pris une connotation négative et s’est curieusement limité à la colonisation européenne: soit du 16ième au 20ième, soit sur une période plus restreinte du 19ième au 20ième.

Nous avons affaire là, à un vrai piège de sémantique. En effet :

 

Quel que soit le territoire, les populations en place sont le fruit de colonisations successives au fil des siècles (10)

Sans remonter jusqu’à l’éradication de l’homme de Néanderthal par celui de Cro-Magnon, rappelons simplement l’exemple familier de l’Afrique du nord. Se sont au minimum succédées les colonisations phéniciennes, romaines, puis les Vandales, les Byzantins, les Arabes, les Turcs, enfin les Européens. Et depuis 1962, de nouvelles formes de colonisation se manifestent, nous y reviendrons.

Pourquoi alors distinguer la colonisation européenne en lui réservant à elle et à elle seule cette dénomination dorénavant presque infamante ?

Proposons une analyse quant à la colonisation par la France :

La colonisation européenne peut se distinguer dans une certaine mesure des innombrables autres colonisations par la rapidité de son extension et son caractère éphémère. Rien là de très original, me direz-vous, sauf que

La colonisation française fut une colonisation retenue .

Pourquoi cette formule ? Deux bonnes raisons :

– dans la plupart des mouvements de colonisation, les colonisateurs ne s’interrogent guère et s’imposent, profitant d’un rapport de force favorable, jusqu’à ce que le colonisé le soit suffisamment pour n’en n’avoir plus conscience. Par exemple, il ne nous viendra pas à l’idée de rejeter ou dénoncer les attributs qui nous viennent des Romains, des Francs ou bien des Normands. Au Vietnam, de l’ex-Indochine française , il ne viendrait à l’idée de personne de tenter de ressusciter la remarquable civilisation du Champa définitivement éradiquée par la colonisation tonkinoise fin 17ième, alors même qu’une colonisation française plus précoce aurait fort probablement assuré la survie de cette civilisation de type hindou (11).

En revanche la colonisation tibétaine (militaire en 1959) par la Chine est loin d’avoir abouti. Mais la Chine ne manifestant aucun état d’âme a toute chance de faire disparaître assez rapidement cette vieille et grande civilisation (12). Concernant la Sibérie à proximité , la relativement récente colonisation russe (fin 17ième à fin 19ième ou 1922) ne fait même pas débat malgré une mise en valeur des plus  médiocres de cet immense territoire.

Plus près de nous et de l’Algérie: Erdogan a t-il seulement jamais eu conscience de fouler le territoire de Saint Paul? La  dernière colonisation de l’Anatolie, par les armées turques, à partir du 11ième siècle, s’est opérée difficilement mais n’est plus perçue en tant que telle. La colonisation turque de trois siècles sur la Régence d’Alger est elle aussi largement oubliée, pour une tout autre raison, la France y ayant mis fin en 1830 (colonisation de fait fort superficielle, certains préférant alors parler d’occupation). En revanche la colonisation arabo-musulmane de l’Afrique du nord lancée dès le 8ième siècle s’est effectuée par des  guerres successives et difficiles, tout en s’imposant progressivement en profondeur, sans pour autant venir à bout de toutes les résistances (13).


Tout autre est l’ entreprise de colonisation de la fin du 19ième par  la France: elle s’opère dans un questionnement permanent (14).

Les motivations purement économiques (15) et politiques, autrement dit l’habituelle préoccupation de puissance demeure, c’est évident, mais nos élites vont s’interroger, tout au long du processus, sur la légitimité tant des objectifs que des moyens utilisés.

Les valeurs qui régissent notre démocratie n’y sont pas étrangères: abuser du simple rapport de force ne nous apparaît plus vraiment acceptable. Les promoteurs de cette colonisation, au premier rang desquels Jules Ferry , se doivent d’ invoquer une mission civilisatrice tant décriée aujourd’hui. Elle fut qualifiée « d’insoutenable plaisanterie » par certains de ses détracteurs . Nous étions pourtant bien loin de la simple hypocrisie.

Colonisation retenue par un questionnement permanent, autrement dit un certain respect du colonisé. L’expression ne pourra que faire bondir nos repentants,  c’est bien à tort. Un  rappel parmi d’autres:

Qui garde en mémoire le rôle de l’impressionnant  Service de santé? Les médecins militaires, puis les médecins coloniaux s’investirent auprès de l’ensemble de la population en Algérie:

Cette présentation de l’œuvre médicale peut prêter le flanc à la critique, mais pas au point d’en faire disparaître et la réalité et l’ampleur. A la même époque, les Indiens d’Amérique ou les aborigènes d’Australie auraient volontiers apprécié cette sollicitude; il est vrai que les anglo-saxons ne se sont pas encombrés des exigences d’une quelconque « mission civilisatrice ».

Surtout colonisation retenue par l’attention portée à la culture autochtone, au risque de ne plus assimiler le colonisé.

Dans le cas de l’Afrique du Nord, il s’agit avant tout du respect accordé à l’Islam.

Une manifestation parmi bien d’autres: l’opposition de l’administration militaire puis républicaine au prosélytisme catholique auprès des Arabes, notamment celui de Mgr Lavigerie fin 19ième. L’Église sera donc réservée aux colons… avant que certains de ses dignitaires n’embrassent la cause FLN après 1954. En revanche la même administration coloniale favorisa la création de l’Association des Oulémas en 1931 censée réformer et moderniser l’Islam… elle deviendra le creuset d’un nationalisme algérien étriqué, version arabo-musulmane, s’imposant en septembre 62 (« un peuple,une langue, une religion »).

  Enfin retenue, par là éphémère, portant en elle la «décolonisation». D’une façon ou d’une autre la domination des colonisateurs devait prendre fin dès lors qu’elle propageait ses valeurs de liberté, égalité, fraternité, ou droit des peuples. Le respect de la culture autochtone conjuguée au droit des peuples, équation imparable. Attention, il ne s’agit pas d’affirmer que la forme effectivement prise par ces décolonisations était inéluctable; nul doute que s’ouvraient d’autres voies plus fructueuses.

La spécificité de la colonisation française, dans le mouvement permanent des colonisations, ne peut donc justifier la repentance, celle-ci se révélant par ailleurs profondément néfaste…

Une Repentance néfaste :

Parce qu’elle contribue à défausser des régimes peu légitimes de leur évidente responsabilité.

En 2009, le Président Obama sut tenir un discours de vérité à Accra (Ghana). Il est vrai que ses antécédents familiaux lui facilitaient la tâche: « Il est facile de pointer du doigt et de rejeter la responsabilité de ses problèmes sur les autres… Aucun pays ne va créer de la richesse si l’exploitation de l’économie permet à ses dirigeants de n’enrichir qu’eux mêmes. Aucune entreprise ne veut investir dans un lieu où le gouvernement perçoit 20% en amont, où le chef de l’autorité portuaire est corrompu… »

Au lieu de s’en prendre à la colonisation française, « Système injuste et cruel », François Hollande aurait pu tenir un langage de vérité en 2012  au Parlement algérien: « L’Algérie peut s’estimer victime : la France doit reconnaître sa faute, celle d’avoir bâclé l’indépendance de l’Algérie en la confiant à une faction ; faction dont la gouvernance s’est révélée proprement calamiteuse depuis 50 ans. Cette faction, vous en êtes pour certains les représentants directs, pour les autres les héritiers. Ne comptez pas sur la France pour vous défausser de vos lourdes responsabilités. En fait arrive le temps où le « système » devra rendre des comptes au peuple algérien ne supportant plus votre « hogra » (dédain et mépris, oppression, injustice, excès de pouvoir)  ». Propos inconcevable politiquement, mais combien plus sensés que celui de la Repentance. Il faut en effet rappeler combien en 1962, L’Algérie disposait d’atouts exceptionnels, entre autre l’héritage de la colonisation (agriculture, infrastructures… »L’œuvre française » de Pierre Goinard devrait figurer dans toute bonne  bibliothèque ), mais aussi la récente et exceptionnelle manne pétrolière. Jean Leca, l’un de ces grands universitaires s’engageant pour le FLN, puis en charge de l’Institut d’Études Politiques d’Alger de 1962 à 65 reconnaît aujourd’hui combien « En 1962, les fées ont été particulièrement nombreuses à se presser autour de l’Algérie. » (Encyclopedia Universalis), avant ce demi siècle de grand gâchis. Ce constat ne fait que rejoindre celui de Ferhat Abbas (34).

 

Parce qu’elle est préjudiciable à l’intégration des populations immigrées en France.

La représentation dominante dans les populations d’origine africaine peut aujourd’hui se résumer simplement : « Nos pères ont été réquisitionnés pour travailler et être exploités en France qu’ils ont d’ailleurs reconstruite après la 2ième guerre, ensuite rejetés et ghettoïsés un fois pressurés. Aujourd’hui nous voilà, victimes discriminées de cette politique! »

En conséquence:  » Je viens en France profiter de la richesse que la France s’est faite sur notre dos »

John F Kennedy (« And so, my fellow Americans ask not what your country can do for you, ask what you can do for your country ») serait pantois devant le nouveau modèle d’intégration français.

Cette position victimaire dans un premier temps rend l’intégration problématique, dans un deuxième temps fait  le jeu de l’islamisation.

L’étape est rapidement franchie : les « jeunes », selon la formule consacrée, donnent un sens à leur difficultés ; de la repentance à l’islamisation, il y a continuité et de véritables stratégies, analysées en particulier par Gilles Kepel, mises en œuvre par les Frères Musulmans et les salafistes. Nous connaissons aujourd’hui, cela s’impose dorénavant comme une évidence, une particulière fragilisation de la société française, une archipellisation plus qu’une simple fracture : interview de   Gilles Kepel (16)

 

Donc repentance dévoyée car non seulement injustifiée mais aussi profondément néfaste.

 Alors, comment expliquer la vigueur, en fait une réelle domination dans les représentations collectives , des partisans de la repentance ?

Comment expliquer l’emprise actuelle de la repentance?

L’interrogation s’impose, car si l’on doit s’opposer à cette repentance dévoyée, faut-il encore en repérer les déterminants réels.

Trois déterminants fondamentaux:

Une intelligentsia toujours orpheline du marxisme

Je ne vais guère qu’effleurer ce point qui exigerait à lui seul plusieurs heures. Tout d’abord, signalons que j’ai été convaincu par l’analyse du « Choc des civilisations » de Huntington bien avant qu’il ne soit popularisé après le 11 septembre 2001, puis décrié par une majorité d’intellectuels français qui pour la grande majorité n’ont même pas fait l’effort de le lire (17).
Il décrit le 20ième comme celui des conflits idéologiques. Le marxisme a plus dominé ce siècle que le nazisme, avant de baisser pavillon à son tour face au libéralisme. L’intelligentsia française a été la plus sensible à l’idéologie marxiste en Occident et la chute du mur de Berlin l’a laissée quelque peu orpheline, sans qu’elle se remette sérieusement en cause devant le démenti que lui assénaient les événements.

Étayée par des analyses évolutives et très riches, loin d’être dénuées de toute pertinence, la vulgate marxiste, celle qui en fin de compte forge les représentations collectives (qui a vraiment lu et compris « Le Capital »?), revient à mettre sur le compte de l’exploitation toute inégalité entre deux populations en contact.

Elle ajoute à cette analyse une démonstration qui relève de l’article de foi : la prise du pouvoir par les exploités du capitalisme, la fameuse classe ouvrière, nous amène à la société sans classes, une espèce de paradis terrestre, tout au moins un avenir prometteur.

Cet immense espoir s’est déplacé de la classe ouvrière nationale vers les colonies européennes ( Lénine : « l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme » 1917), dont la libération devenait la première étape de la Révolution, c’est à dire de destruction du capitalisme mondial, avant d’atteindre la métropole. Régis Debray par exemple, fort bien placé pour l’éprouver de Normale Sup à la jungle bolivienne, reconnaît que le marxisme léninisme a été l’équivalent d’une religion fervente. Son impact a été tel en France qu’il a même affecté l’Église de France. Mgr Decourtray a parlé de connivence ; pour rester à Lyon, mentionnons par exemple l’implication du Prado dans le réseau Jeanson (les porteurs de valise) (18).

Cette intelligentsia ne s’est alors pas contentée d’une activité intellectuelle, mais a développé toute une stratégie de subversion dont les réseaux trotskystes étaient les derniers vecteurs après un Parti communiste dont le rayonnement commença à  décliner sérieusement après le rapport Khrouchtchev de 1956 . Mais me direz-vous, nous voilà bien loin du débat de la repentance de 2016-17. Justement, nous  y sommes au cœur .

Deux noms emblématiques pour nous éclairer. Hervé Bourges, l’homme le plus influent dans les media français depuis les années 1980 : il se fit embaucher dès 1956 par Témoignage Chrétien qui militait contre la guerre d’Algérie et se retrouve encore dans les coulisses de l’audiovisuel aujourd’hui en ayant, comme vous le savez, obtenu la nationalité algérienne et occupé la fonction de conseiller de Ben Bella, dirigé le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et terminé officiellement par la présidence de l’Union Internationale de la Presse Francophone (2001).

Plus jeune (1950), Benjamin Stora s’est formé dans les réseaux trotskistes (il ne s’agit pas d’une simple phobie droitière; ces réseaux ont exercé manifestement un rôle considérable en France) pour atteindre avec une remarquable volonté et persévérance la situation qu’on lui connaît en 2017 cumulant de nombreuses casquettes dont celle de conseiller du Président Hollande, après avoir participé à l’élaboration des programmes scolaires en histoire : il se présente dorénavant comme l’arbitre impartial des mémoires sur l’Algérie, entre autres.
J’interromps là ce trop bref aperçu, visant à faire apparaître le besoin de repentance quant à ce « système injuste et brutal » comme héritier d’une foi marxiste en veilleuse. (19)

  Le sentiment d’exploitation là où se manifestent acculturation et anomie.

Le deuxième élément d’explication m’apparaît le plus déterminant sans être le plus simple d’approche. Deux mots un peu barbares pour commencer, un peu de théorie sans prétention pour mieux retomber dans des considérations simples,  pertinentes sinon éclairantes.

En anthropologie culturelle « acculturation » désigne selon ses concepteurs (américains Redfield, Linton , Herskovits 1938) : « l’ensemble des phénomènes qui résultent du contact direct et continu entre des groupes d’individus de culture différente » .
Anomie : serait l’un des concepts les plus couramment employés de la sociologie avec des significations qui peuvent différer. Je vous propose la définition de Durkheim à l’origine du concept : « Il y a anomie lorsque les actions des individus ne sont plus réglées par des normes claires et contraignantes » (Boudon). En fait, dans le cas présent, il s’agirait plus précisément d’anomie au sens de Merton: la déstabilisation des structures traditionnelles libèrent les envies au point que l’individu (ou le groupe) n’a plus moyen de les satisfaire avec ses ressources culturelles. Laissons maintenant les sociologues à leurs moutons,

et retombons sur nos pieds en schématisant quelque peu : deux groupes aux cultures différentes, on pourrait tout aussi bien dire traditions ou même civilisations ( le phénomène revient au même en fin de compte, ici). En contact, une culture déstabilise l’autre. L’Occident, par sa seule proximité a culturellement déstabilisé les colonies sans que la décolonisation rétablisse un quelconque équilibre, au contraire. Encore plus concret:

Déstabilisée culturellement, l’Afrique ne semble pas devoir trouver une voie de développement harmonieuse d’ici longtemps, pour plusieurs raisons :

– le défi culturel ne peut guère que s’aggraver avec l’intensification des échanges, au premier rang desquels les télécommunications, des paraboles aux portables : les jeunes Africains partagent toujours plus les mêmes rêves que les jeunes Occidentaux sans être en mesure de s’en donner les moyens. Évidemment cette dernière affirmation ne peut manquer de susciter les réactions habituelles les plus outragées, en premier lieu l’accusation inévitable de racisme. La « race » n’est pas en jeu ici; il s’agit de facteurs culturels: le débat n’est pas nouveau, nous y reviendrons, cette question m’apparaissant essentielle.

– la croissance démographique qui demeure très élevée est toujours incompatible avec un véritable développement économique (dans le seul Nigéria, il y a eu plus de naissances en 2015 que dans l’Europe des 28). Ce n’est pas un hasard si l’exceptionnel développement économique chinois depuis 40 ans s’est enclenché avec la politique de l’enfant unique.

– enfin l’Afrique est le continent qui risque de souffrir le plus du réchauffement climatique, phénomène réel et tout en même temps excellent prétexte pour des régimes inaptes, à se défausser de leurs responsabilités.

Le regard de Germaine Tillion

Le cas particulier de l’Algérie mériterait à lui seul tout un développement :

  •  en premier lieu le regard d’une grande personnalité rapporté par Daniel Cohen (20):

    …. Suivons la manière dont Germaine Tillion raconte dans l’Algérie en 1957 l’étonnement qui la saisit lorsqu’elle revint, vingt ans après, dans un village des Aurès qu’elle avait visité entre 1936 et 1940.. . La société des Aurès que Germaine Tillion a connue « équilibrée et heureuse dans sa tranquillité ancestrale » s’est clochardisée en moins de vingt ans. La faute à quoi ? « Rien ou presque . » Les Français, croyant bien faire et porter l’œuvre civilisatrice de la France, ont pulvérisé du DDT sur les étangs pour combattre le paludisme et le typhus et construit une route pour casser l’isolement de la région. Puis ils sont repartis chez eux. Ces deux innovations ont alors produit une réaction en chaîne. L’éradication du typhus et du paludisme va d’abord provoquer une explosion de la démographie. En une génération, la population s’est multipliée. Pour y faire face, les pasteurs ont voulu augmenter leur cheptel. Mais celui-ci a rapidement détruit les sols. Grâce à la route, certains ont exporté leur surplus. Quelques-uns se sont endettés et parfois ruinés. Les inégalités sont apparues, les plus riches ont envoyé leurs enfants à l’école du chef-lieu. La tradition coranique s’est vite trouvée dévalorisée. Ainsi, comme une population détruite par une épidémie,  la société traditionnelle s’est-elle désintégrée à ce léger contact, à ce simple frôlement de civilisation occidentale.  D. Cohen « La mondialisation et ses ennemis » Grasset2004 (p12,13)

  •   Retournement de situation avec le conflit 1954-62 d’où surgit une société se restructurant, avec de nouveaux repères: on peut alors parler d’une toute jeune nation qui comme les anciennes a besoin de boucs émissaires pour préserver sa cohésion. En Algérie ce besoin de boucs émissaires est d’autant plus élevé que le pouvoir a été dès 1962 confisqué par une faction dont la représentativité et la légitimité ne s’est pas améliorée après plus d’un demi siècle aux commandes. Faut-il rappeler que Mr Bouteflika était déjà ministre en 1962 avant d’être démis de la Présidence en 2019 ? Que l’Algérie ne « produit rien » comme dirait un ancien Premier Ministre, Sid Ahmed Gozhali (5 mois en 1992), en vivant de ses hydrocarbures qui représentent 98 % de ses exportations. En fait les autorités françaises sont bel et bien dans l’obligation de ménager ce régime car il se trouve confronté à une opposition islamique encore plus virulente à l’égard de l’Occident.

 

 L’expansion de l’Islam

Elle ne date pas d’aujourd’hui. Déjà, pendant la guerre d’Algérie, le fondamentalisme occupait une place déterminante malgré le marxisme affiché par certains leaders du FLN  (21).
Depuis 2001, la visibilité de l’Islamisme ou Islam radical a pris une autre ampleur et se trouve clairement en interaction avec le phénomène de repentance. Il profite de cet état d’esprit et tend à le propager. Mais l’Islam n’est pas ici le sujet, contentons-nous de mentionner la place particulière du CCIF, le Collectif contre l’Islamophobie en France. La « honte de l’islamophobie» dénonçait, il y a peu, un chroniqueur de la Croix, Metin Arditi. Il ne serait pas difficile de montrer combien nos repentants font actuellement le jeu des Frères Musulmans et même des salafistes, mais je renvoie à nouveau au spécialiste Gille Kepel qui, dans un ouvrage récent pointe du doigt en fait le risque de guerre civile (22).

Donc trois déterminants fondamentaux, probablement, de la repentance:

  • Une intelligentsia encore orpheline du marxisme, surtout en France.
  • Des sociétés traditionnelles non pas exploitées mais déstabilisées culturellement (anomie) (23).
  • Enfin un islamisme qui répond aux frustrations en les exacerbant, tout en désignant les boucs émissaires.

 

Dans le contexte actuel, la repentance ne risque guère de conduire à un quelconque apaisement, bien au contraire. Alors, tout comme Lénine, posons-nous la grande question :

Que Faire ?

(Lénine répond en 1901 :  » réaliser la dictature bolchevique »)

En fait, la contestation de la repentance est demeurée une réalité de la vie politique et s’affirme aujourd’hui plus nettement dans le monde intellectuel et même médiatique, bien que minoritaire. L’argumentation anti-repentance est déjà riche et multiforme, on y trouve le meilleur et le pire.
Je me permets d’esquisser une voie, proposer une quasi stratégie : quels objectifs, quels moyens, quelle méthode ?

L’objectif n’est pas le plus facile à définir avec précision, à seulement cerner. Proposons : s’opposer à la fragmentation de notre pays, préserver le creuset national.

Les moyens : permettez- moi d’afficher tout de suite un parti-pris (qui risque de fâcher nos partisans de l’émancipation) où je rejoindrai plus d’un intellectuel ou homme d’action reconnu, tel A Finkielkraut ou Régis Debray , Max Gallo, Hubert Védrine etc… à savoir faire aimer son pays. C’est tout aussi bien un objectif.

Comment s’y prendre ? Évoquons trois directions :

– Dénoncer la repentance en « la déconstruisant » selon l’expression en vogue.
– Refonder un Récit National
– Occuper le terrain

Reprenons

Dénoncer la repentance

Ce qui a largement été esquissé tout à l’heure en démontrant son caractère dévoyé, en mettant le projecteur sur les réseaux tant intellectuels, que politiques et médiatiques qui la promeuvent ; en montrant combien notre intelligentsia n’a de cesse de se fourvoyer depuis la 2ième guerre . J’insisterai tout particulièrement sur cette tragédie pas si lointaine des Khmers rouges dont, rappelons-nous, les dirigeants ont été formés, puis soutenus par une large majorité de nos élites aujourd’hui toujours donneuses de leçons.

Refonder un Récit National? Ou l’insaisissable Vérité historique.

C’est une nouvelle version du débat sur l’identité, à un détail près, il ne correspond plus au traditionnel clivage politique et idéologique de la société française droite/ gauche. Renouant avec la tradition de la Troisième République, des responsables de toute obédience adhèrent à cette proposition, de l’extrême-droite à l’extrême gauche sans nécessairement y mettre le même contenu. Par exemple Marie-Antoinette ne subira pas le même traitement selon qu’il sera délivré par Jean-Luc Mélenchon ou Patrick Buisson.

Un consensus s’établit cependant sur l’intérêt à nouveau d’une histoire commune autour de personnages en chair et en os, vrais ancêtres présentant un caractère exemplaire. J’avoue m’être passionné pour l’histoire avec des manuels d’un autre temps, des Belles Histoires de France du cours élémentaire de Ozouf et Leterrier au Malet-Isaac du lycée ; en revanche les programmes plus récents (y compris ceux de 2011) fondés sur une approche thématique ont abouti à des manuels suintant l’ennui et, plus grave , développant une sérieuse confusion dans l’esprit de nos jeunes: ils n’ont pas suffisamment de repères historiques, sautillant d’une époque à l’autre sans guère de perception de la chronologie et la durée, bref une bouillie que les jeux vidéos en vogue ne manquent pas d’épaissir.

Mais ne rêvons pas, notre intelligentsia ne laissera pas passer un tel projet sous le prétexte de la nécessité d’une histoire scientifique ou, autre formule approchante de la vérité historique.

Quelle vérité historique?

Cette prétention à la vérité historique, l’unique Vérité , est largement illusoire; en même temps un alibi pour nous imposer des approches tout aussi partisanes, engluées  dans la repentance.

Là-dessus convoquons un acteur de premier plan de notre histoire nationale, Napoléon: « Cette vérité historique tant implorée, à laquelle chacun s’empresse d’en appeler, n’est trop souvent qu’un mot: elle est impossible au moment même des évènements, dans la chaleur des passions croisées; et si, plus tard, on demeure d’accord, c’est que les intéressés,les contradicteurs ne sont plus. Mais qu’est alors cette vérité historique, la plupart du temps? Une fable convenue, ainsi qu’on l’a dit fort ingénieusement. Dans toutes ces affaires, il est deux portions essentielles fort distinctes: les faits matériels et les intentions morales. Les faits matériels sembleraient devoir être incontroversables; et voyez pourtant s’il est deux versions qui se ressemblent: il en est qui demeurent des procès éternels. Quant aux intentions morales, le moyen de s’y retrouver, en supposant même de la bonne foi dans les narrateurs? Et que sera-ce s’ils sont mus par la mauvaise foi, l’intérêt et la passion? J’ai donné un ordre. Mais qui a pu lire le fond de ma pensée , ma véritable intention? Et pourtant chacun va se saisir de cet ordre , le mesurer à son échelle, le plier à son plan, à son système individuel. Voyez les diverses couleurs que va lui donner l’intrigant dont il gêne ou peut au contraire servir l’intrigue, la torsion qu’il va lui faire subir. Il en sera de même de l’important , à qui les ministres ou le souverain auront confidentiellement laissé échapper quelque chose sur le sujet; il en sera de même de nombreux oisifs du palais qui, n’ayant rien de mieux à faire que d’écouter aux portes, inventent faute d’avoir entendu. Et chacun sera si sûr de ce qu’il racontera! Et les rangs inférieurs qui le tiendront de ces bouches privilégiées en seront si sûrs à leur tour et alors les mémoires, et les agendas, et les bons mots, et les anecdotes de salon d’aller leur train… » (Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène, 20 novembre 1816).

Entendons-nous bien, l’impossibilité d’une certitude définitive, d’accéder à la Vérité avec un grand V ne doit pas nous conduire à la conclusion de son inexistence, et en franchissant un pas supplémentaire, que tout récit historique est admissible. Certainement pas. (24)

Simplement, les mêmes événements peuvent faire l’objet d’éclairage fort différents avec une même rigueur intellectuelle selon l’état d’esprit, la sensibilité, bref la personnalité du narrateur. Sous l’empire de la Repentance, et l’alibi de la vérité historique, le regard posé sur notre passé est ainsi devenu plus noir et corrosif: Clovis n’a pas disparu des manuels scolaires en 2017, mais le vase de Soisson prouve qu’il est simplement cruel et rancunier, le Roi-soleil s’est mué en tyran qui écrase son peuple sous les impôts et révoque l’Édit de Nantes , le remarquable Turenne en dévastateur du Palatinat, l’Empereur Napoléon en simple mégalomane rétablissant l’esclavage. Carnot est encore le grand organisateur des armées révolutionnaires, parions qu’il ne tardera pas à devenir le simple promoteur des colonnes Tureau en Vendée, comme Jules Ferry transformé en colonisateur raciste, Bugeaud le père la Casquette en  simple responsable  des enfumades (32) et Pétain réduit à l’homme de Montoire. C’est à peine si je caricature.

Quant aux événements : Austerlitz tend à passer aux oubliettes (25), La Bérésina qui fut un exploit tactique et physique s’est transformé en désastre, les sacrifices de la Première Guerre en une stupide boucherie.

Quant à la colonisation nous sommes passés sans transition de la mission civilisatrice triomphaliste, avec plus d’un sympathique personnage tel Savorgnan de Brazza ou le Dr Schweitzer, en entreprise d’extermination prélude à la Shoah (26). Là nous ne sommes pas simplement passés d’un éclairage à un autre: se pose dorénavant la question de la simple honnêteté intellectuelle, ce que l’on pourrait démontrer dans l’analyse du traitement de l’esclavage.

Pour résumer sur la proposition du Récit National : celui d’une histoire qui passionne, tout en redevenant édifiante, osons le mot, qui sans prétendre proposer l’insaisissable Vérité historique, soit d’une honnêteté intellectuelle plus exigeante que les programmes actuels; reconnaissons que ceux d’autrefois ne s’embarrassaient pas non plus toujours de cette exigence.

Une histoire édifiante : un enfant ne se construit pas dans un environnement de repentance, dénonciation, dénigrement, dérision sur fond de simples performances économiques sinon d’exaltation de la consommation. Et quand les parents n’ont pas les moyens (le capital économique et culturel, comme dirait Bourdieu), on se retrouve avec le problème des cités (27).

Il ne suffira pas de mettre les projecteurs sur les réseaux de la repentance, proposer l’alternative d’un Récit National pour l’école, faut-il encore occuper le terrain tous azimuts.

Occuper le terrain

 L’école.

C’est la question des programmes et des manuels, notamment. Elle s’impose et exigerait un travail suivi (33). Par exemple le Cercle National avait entrepris une étude des Manuels, mais achevée en 1998, elle est aujourd’hui caduque . Bien d’autres initiatives méritent une certaine vigilance. À  nouveau deux exemples: les CDI disposent d’outils audiovisuels qui méritent qu’on s’y intéresse. Le film « Indigène », sorti en 2006, s’y retrouve fréquemment : il présente l’intérêt de rappeler le rôle des Indigènes d’Afrique du Nord plutôt occulté dans l’après-guerre, mais colporte tout en même temps un message carrément faux sur la place et l’implication des soldats européens (28). .
Il y a parfois plus grave : sont parfois accueillis à bras ouverts des «moudjahidin» envoyés par Alger qui s’autorisent des exposés particulièrement mensongers en classe devant nos  lycéens avec la caution du professeur d’histoire. Vous avez bien entendu: il est arrivé que les représentants de Mr Bouteflika aient eu directement voix au chapitre dans nos écoles. (Le Ministère des Anciens Combattants dispose d’un budget tout à fait exceptionnel en Algérie , trois fois celui de la Justice, il est entre autres chargé de la légitimation du Parti au pouvoir, sans guère de scrupules historiques.)

Commémorations

(ex : La rue de Crest baptisée au nom d’Hélie de Saint Marc, tout comme celle du 19 mars 1962 de Bollène, le rond-point d’Aix en Provence etc..)

En dehors de l’école, le cas des commémorations. Elles représentent plus qu’un vieux rite et pourraient être plus souvent l’opportunité de débats fructueux. Prenons l’exemple de la rue baptisée au nom d’Hélie de Saint Marc par Hervé Mariton à Crest ce 11 novembre 2016 .
Après l’inauguration traditionnelle du site , se tint une conférence en salle sur Saint Marc, un témoin du 20ième siècle. Au delà d’un public de convaincus, assistait un groupe émanant de « Nuit Debout » à qui la parole a été donnée. En fait nous en sommes restés à un dialogue de sourds avec la polémique ouverte par une jeune institutrice convaincue a priori d’affronter le diable. Bien d’autres occasions pourraient se présenter, ne serait-ce qu’autour des commémorations du 19 mars; reste à surmonter l’écueil  de la polémique.
Polémiquer ne mène pas loin ; la polémique conforte les convaincus, irrite un peu plus les contradicteurs, et agace ou maintient dans l’indifférence les autres. Il faut vraiment tenter de convaincre, en espérant bien sûr demeurer dans le vrai, ce qui suppose déjà de prendre en compte les arguments du contradicteur. Car n’oublions-pas, à l’origine de ce mouvement de la Repentance comme pour tout mouvement, il y a des convaincus, des convaincus sincères  jusqu’à preuve du contraire.

Accepter le débat suppose un considérable travail préalable de mise en ordre, de clarification, de simplification parfois, qui reste à effectuer sur les points essentiels. Est-ce déjà la tâche entreprise par Bernard Lugan dans « L’Algérie, l’Histoire à l’endroit »? L’expression est heureuse, sa mise en œuvre peu évidente.

Conclusion provisoire

Le mouvement de la repentance continue à occuper une position hégémonique à l’Université, à l’École, moins nettement aujourd’hui dans les media; mais plus que jamais dans nos rapport à l’Afrique.
Il est carrément injustifié : ce n’est pas « un système profondément brutal et injuste » disparu il y a plus d’un demi siècle qui est en cause, mais une intelligentsia française orpheline du marxisme d’une part, des populations anomiques, de jeunes « nations » plus qu’incertaines (29) en quête de bouc émissaire, d’autre part.
Ce mouvement est par ailleurs néfaste, en particulier dans le défi que nous posent toujours plus les pays d’émigration. On n’intègre pas dans la repentance. Nous rejoignons ainsi Guy Hennebelle pointant du doigt: « le ‘duo maso-sado’ entre la culture laïco-chrétienne du culpabilisme français et la culture arabo-musulmane du ressentiment, qui ne mène à rien de constructif ». (31)

S’opposer à la repentance est un travail de fourmi qui ne peut relever d’une stratégie bricolée. Au-delà, il se pourrait que l’Europe doive tout de même se remettre en question (30)

 

 

 

 

(1) C’est ainsi l’acception de Pierre Vermeuren lorsqu’il constate: « Depuis les années 1980, l’esprit de repentance s’est mêlé à l’apprentissage de la mondialisation » dans les manuels d’Histoire scolaire (Le Figaro 16/06/2019). Bonne nouvelle, P. Vermeren a participé à l’élaboration des nouveaux programmes d’histoire du lycée pour la rentrée 2019. [Reprendre la lecture]

(2)Le supplément du n° de décembre 2016 lui est par exemple largement consacré. [Reprendre la lecture]

(3) En fait le candidat E Macron a franchi un pas supplémentaire en qualifiant la colonisation en Algérie de « crime contre l’humanité », et de « vraie barbarie » en février 2017. Mais le Président Macron n’a pas repris les propos du candidat Macron. Il n’est pas dit qu’E. Macron se soit encore forgé sur cette question une position personnelle bien  ancrée. À son premier voyage en tant que Président (déc. 2017), il invite à déjeuner entre autres Kamel Daoud et surtout Boualem Sansal. Et, lors de son bain de foule, à un jeune qui l’apostrophe au sujet de la colonisation française, il a répondu sèchement:  » Qu’est que vous venez m’embrouillez avec ça? Vous, votre génération, elle doit regarder l’avenir… » (in « le Grand Manipulateur » de Marc Endeweld Ed Stock 2019). E Macron, à la différence de F Hollande, ne se complaît pas dans la repentance, tout en demeurant sous l’emprise de Stora (toujours du voyage) quant au regard sur le passé.

Du nouveau avec la tournée africaine du Président Macron en décembre 2019, en fait une déception. Notre Président n’a pu s’empêcher de renouer avec l’antienne de la repentance: « Le colonialisme a été une erreur profonde et une faute de la République » a t-il déclaré ce 21 décembre à Abidjan. La réplique de Roland Hureaux nous apparaît particulièrement pertinente (Causeur.fr 27 décembre 2019):

« Nous ne reviendrons  pas sur les arguments bien  connus qui réfutent ces propos sommaires : où en seraient ces pays s’il n’y avait  pas été colonisés?  D’autres, comme Driss Ghali dans Causeur, ont rappelé tout ce que la France avait  apporté à ses colonies africaines.

Des poncifs nocifs

Macron s’abîme-t-il chaque jour dans les affres de la culpabilité nationale ? Non . Au fond, il s’en fiche. Il dit cela parce qu’il se croit obligé de le dire. Ce faisant, il commet plusieurs  erreurs.

D’abord il montre son ignorance. A une connaissance précise de l’histoire de nos anciennes colonies, prises une à une, il substitue des poncifs sur le colonialisme qui témoignent  de sa connaissance superficielle de la question. Sait-il qu’il fallut en 1960 « pousser dehors » la Côte d’Ivoire qui aurait préféré rester un département d’outre-mer ? Il est vrai que Houphouët-Boigny avait été un ministre particulièrement en vue de la  IVe République, un honneur qu’aucune autre puissance coloniale n’avait accordé à ses sujets.

Sait-il que les présidents de l’ancienne Afrique équatoriale française se sont cotisés pour ériger à Brazzaville un mausolée à Savorgnan de Brazza qui avait fondé la colonie? Sur le sujet de la colonisation, Macron ne fait que répéter ce qu’on dit  dans les universités américaines, gangrenées par le politiquement correct anticolonialiste. Il fut et reste le meilleur élève de Richard Descoings qui ne fit rien d’autre qu’américaniser l’enseignement des Sciences Po.  Il serait temps qu’il renouvelle sa culture !

Chacun des pays que Macron visite est attaché à sa singularité. En leur appliquant des clichés passe-partout, il montre qu’au fond il ne s’intéresse pas vraiment à eux.

Il est temps de traiter les Africains comme des gens normaux

Sent-il par ailleurs ce que peut avoir de blessant pour ses interlocuteurs l’évocation du passé colonial ?  Rien de plus ambigu que la victimisation. On ne rappelle pas aux gens qu’ils ont été vaincus ou dominés, même sur le mode du repentir.  Dans le monde dur où nous vivons, être ou avoir été une victime n’a rien de glorieux.  Il faut traiter les Africains comme des interlocuteurs normaux. Que dirait-on si tout président italien, chaque fois qu’il visite la France, venait nous rappeler que nous avons été vaincus à Alésia, puis dominés, fût-ce sur le mode de la repentance?  Ces subtilités échappent à Emmanuel Macron dont l’éducation, pour avoir été bourgeoise, ne comportait sûrement pas ces délicatesses.

En clamant que la colonisation a été une « erreur », il montre aussi son absence de réflexion historique. Erreur ? Tout au long de l’histoire, les civilisations qui ont pris de l’avance sur les autres, ont été d’une manière ou d’une autre impérialistes vis-à-vis de leurs voisines  en retard. Les Perses, Grecs, les Romains, les Arabes, les Mongols et pour finir les Européens. C’est ainsi. Il n’y a pas à pas avoir de repentance. Il faut seulement savoir tourner la page.

Toutes les guerres africaines de la France ont d’ailleurs fait bien moins de victimes que l’invasion du Congo-Kinshasa par les troupes rwandaises de Paul Kagamé entre 1997 et 1999, soit plusieurs millions. Non seulement Macron n’a demandé aucune repentance à ce personnage mais il ne manque aucune occasion de lui rendre les honneurs, allant jusqu’à l’inviter au sommet du G7 de Biarritz et à promouvoir sa protégée à la tête de la francophonie.

L’alibi post-colonial

Il est vrai que certains chefs d’Etat africains usent et abusent de l’alibi du mal que leur aurait fait la colonisation pour justifier leurs erreurs et leur corruption. C’est particulièrement vrai de ceux de l ’Algérie. Les jeunes générations, tout aussi ignorantes que Macron de ce que fut la colonisation, ne sont que trop promptes à écouter ces discours. Il ne sert qu’à entretenir une haine idéologique très éloignée de ce que ressentaient leurs pères colonisés et qui est totalement stérile. Macron rend un mauvais service à la jeunesse africaine en l’entretenant. D’autant que ces sentiments sont transportés dans nos banlieues.

Nous pourrions aussi rappeler qu’en jouant les coqs quand il va en Afrique, il n’a pas pris la mesure du déclin de l’influence française sur ce continent – dont la cessation du franc CFA dont il a l’air de se glorifier est un symbole. Seuls les dominants peuvent se payer le luxe de s’autodénigrer. Or la France ne domine plus rien sur ce continent, surtout depuis son enlisement au Mali.

Paver les voies de la Chine

Mais comme là aussi les discours oiseux risquent être pris au sérieux, à quoi sert désormais de vilipender la colonisation française sinon à donner de la légitimité   aux entreprises concurrentes de la Chine, de la Russie, des Etats-Unis, de l’Arabie saoudite bien moins respectueuses de l’identité africaine que nous ne l’avons été.

Ajoutons que les pays africains sont des pays normaux, dont les chefs d’Etat, même corrompus, savent ce qu’ils doivent à leurs peuples : ne pas les insulter, ne pas insulter leur histoire, les  rendre fiers de leur passé, soit les principes éternels du leadership, exactement le contraire de ce que  fait Macron.  C’est dire que les rodomontades auto-flagellatoires du président français apparaissent aux Africains, comme aux Asiatiques, pour ce qu’elles sont : à la fois une bizarrerie et le symbole de la décadence européenne. L’intéressé n’en récolte aucune estime, bien au contraire. Il ferait mieux de rester chez lui. »

Parallèlement Bernard Lugan s’intéresse à l’originalité qui consiste à accuser la République plutôt que la France:

Communiqué de Bernard Lugan 

Le 21 décembre 2019, à Abidjan, en dénonçant le « colonialisme  faute de la République » et non de la France (à moins que, pour lui, France=République), Emmanuel Macron a désigné les vrais responsables de la colonisation, ce « péché » qui sert aujourd’hui à désarmer la résistance au « grand remplacement ».  Etat de la question :

1) Dans les années 1880-1890, l’idée coloniale fut portée par la gauche républicaine alors que la droite monarchiste et nationaliste majoritaire dans le pays s’y opposait[1].

2) Les chefs de cette gauche républicaine étaient profondément imprégnés par les idées de la révolution de 1789. Pour eux, la France républicaine, « patrie des Lumières » se devait, en les colonisant, de faire connaître aux peuples qui l’ignoraient encore le message universaliste dont elle était porteuse. La dimension économique était initialement secondaire dans leur esprit car, à l’époque, l’on ignorait que l’Afrique encore très largement inexplorée pouvait receler des richesses. Et quand Jules Ferry parlait du futur Empire comme d’une « bonne affaire », ce n’était qu’un souhait (voir à ce sujet les travaux de Jacques Marseille).

3) Dans la réflexion de la gauche républicaine, la dimension idéologique et morale de la colonisation a tenu une part considérable et même fondatrice. L’on trouve ainsi chez Jules Ferry la notion de « colonisation émancipatrice », idée qui fut parfaitement résumée en 1931 lors du congrès de la Ligue des droits de l’Homme qui se tint à Vichy, quand Albert Bayet, son président, déclara que la colonisation française était légitime puisqu’elle était porteuse du message des « grands ancêtres de 1789 ». Dans ces conditions ajouta-t-il, en colonisant, c’est-à-dire  en faisant :
« (…) 
connaître aux peuples les droits de l’homme, ce n’est pas une besogne d’impérialisme, c’est une tâche de fraternité »

4) La gauche républicaine coloniale utilisa à l’époque des arguments qui, aujourd’hui, conduiraient directement leurs auteurs devant les tribunaux. Dans son célèbre discours du 28 juillet 1885, Jules Ferry déclara ainsi :
«
Il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures ; mais parce qu’il y a aussi un devoir. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures »Le 9 juillet 1925, l’icône socialiste Léon Blum  affirma devant les députés :
«
Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture et de les appeler aux progrès réalisés grâce aux efforts de la science et de l’industrie. »Les bonnes consciences humanistes peuvent cependant être rassurées puisque Jules Ferry avait pris le soin de préciser que :
«
La race supérieure ne conquiert pas pour le plaisir, dans le dessein d’exploiter le faible, mais bien de le civiliser et de l’élever jusqu’à elle ».

           5) La maçonnerie à laquelle appartenaient la plupart des dirigeants républicains voyait dans la colonisation le moyen de mondialiser les idées de 1789. En 1931, toujours à Vichy, lors du congrès annuel de la Ligue des droits de l’homme dont j’ai parlé plus haut et dont le thème était la question coloniale, Albert Bayet déclara :
«
La colonisation est légitime quand le peuple qui colonise apporte avec lui un trésor d’idées et de sentiments qui enrichira d’autres peuples (…) la France moderne, héritière du XVIIIe siècle et de la Révolution, représente dans le monde un idéal qui a sa valeur propre et qu’elle peut et doit répandre dans l’univers (…)Le pays qui a proclamé les droits de l’homme (…) qui a fait l’enseignement laïque, le pays qui, devant les nations, est le grand champion de la liberté a (…) la mission de répandre où il peut les idées qui ont fait sa propre grandeur ».

6) Alors que toute la philosophie qui animait ses membres reposait sur le contrat social, la colonisation républicaine s’ancra sur une sorte de racisme philanthropique établissant une hiérarchie entre les « races » et les civilisations. Au nom de sa supériorité philosophique postulée, la république française avait en effet un devoir, celui d’un aîné devant guider, grâce à la colonisation, ses cadets ultra-marins non encore parvenus à « l’éclairage des Lumières ».

7) Pour ces hommes de gauche, la conquête coloniale n’était brutale qu’en apparence puisqu’il s’agissait in fine d’une « mission civilisatrice ». D’ailleurs, la république égalisatrice n’avait-t-elle pas fait de même en  transformant les Bretons, les Occitans, les Corses et les Basques en Français, c’est-à-dire en porteurs du message émancipateur universaliste? La gauche républicaine coloniale se devait donc de combattre tous les particularismes et tous les enracinements car il s’agissait d’autant de freins à l’universalisme. Coloniser était donc un devoir révolutionnaire et républicain. D’autant que la colonisation allait permettre de briser les chaînes des peuples tenus en sujétion par les « tyrans » qui les gouvernaient. La colonisation républicaine fut donc d’abord le moyen d’exporter la révolution de 1789 à travers le monde.

  Jusque dans les années 1890, la position de  la droite monarchiste, nationaliste et identitaire fut claire : l’expansion coloniale était une  chimère  détournant les Français de la « ligne bleue des Vosges » et les aventures coloniales étaient donc considérées à la fois comme une trahison et un ralliement aux idées républicaines. Le 11 décembre 1884, devant le Sénat, le duc de Broglie, sénateur monarchiste, déclara ainsi :
« (…) 
Les colonies affaiblissent la patrie qui les fonde. Bien loin de la fortifier, elles lui soutirent son sang et ses forces. » Cet anticolonialisme de droite fut bien représenté par Paul Déroulède et par Maurice Barrès. Pour Déroulède, le mirage colonial était un piège dangereux tendu par les ennemis de la France. Dans une formule particulièrement parlante, il opposa ainsi la chimère de « la plus grande France », c’est-à-dire l’Empire colonial, qui menaçait de faire oublier aux Français le « relèvement de la vraie France ». En dehors des milieux d’affaires « orléanistes » qui, à travers les Loges, avaient adhéré à la pensée de Jules Ferry, la « droite » fut anticoloniale quand la « gauche », à l’exception notable des radicaux de Clemenceau, soutenait massivement l’expansion ultramarine.

Et pourtant, quelques années plus tard, à quelques très rares exceptions, monarchistes, nationalistes et catholiques se rallièrent à la vision coloniale définie par la gauche républicaine, donc aux principes philosophiques qu’ils combattaient depuis 1789… La fusion fut effective en 1890 quand, par le «  toast d’Alger », le cardinal Lavigerie demanda le ralliement des catholiques à la République. La boucle révolutionnaire fut alors bouclée. Les Lumières l’avaient emporté sur la Tradition.

Par « devoir patriotique », la droite militaire et missionnaire partit alors conquérir les « terres de soleil et de sommeil ». Elle s’y fit tuer avec courage et abnégation, en ne voyant pas que son sang versé permettait la réalisation des idéaux philosophiques de ses ennemis de toujours… Ces derniers demeurèrent quant à eux confortablement en France, attendant de chevaucher ultérieurement les chimères idéologiques de l’anticolonialisme au nom duquel ils dénonceront et combattront férocement et implacablement une droite suiviste devenue coloniale quand eux ne l’étaient plus…

En parlant de « faute de la République » et non de faute de la France, le président Macron a donc (involontairement ?), mis la gauche républicaine face à ses responsabilités historiques. Car, et nous venons de le voir, ce furent des républicains, des hommes de gauche, des laïcs et des maçons, qui lancèrent la France dans l’entreprise coloniale qui l’épuisa, la ruina et la divisa.

Leurs héritiers qui dirigent aujourd’hui la France politique, judiciaire, médiatique et « morale » ont curieusement oublié cette filiation. Plus encore, ayant adhéré à une nouvelle idéologie universaliste, celle du « village-terre » et de l’antiracisme, ils font réciter ad nauseam aux Français le credo de l’accueil de « l’autre » afin d’achever de diluer les derniers enracinements dans l’universel. Et ils le font au prétexte de la réparation de la « faute » coloniale commise hier par leurs maîtres à penser …

[1] Je développe cette idée dans mon livre « Mythes et manipulations de l’histoire africaine »  Plus d’informations sur le blog de Bernard Lugan

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(4) Rémi Dalisson ( Guerre d’Algérie, l’impossible commémoration A Colin 2018) aborde cette question de la commémoration avec une analyse des intervenants et des « mémoires » qui ne manque pas d’intérêt. Mais le moins qu’on puisse dire est qu’il ne manifeste pas une sympathie excessive à l’égard des Pieds Noirs, ces trublions nostalgiques qui s’autorisent à perturber des commémorations du 19 mars 1962. Bref, il ne se démarque pas de la repentance. [Reprendre la lecture]

(5) Il n’est pas apparu nécessaire à la France de rendre hommage aux victimes allemandes de la 2ième guerre (victimes civiles des bombardements alliés aveugles par exemple) pour opérer un rapprochement spectaculaire avec l’Allemagne dès 1950. [Reprendre la lecture]

(6)  En fait le seul chef d’État français à avoir évité toute forme de repentance en déplacement en Algérie est Valéry Giscard d’Estaing. Le discours de Constantine de N Sarkozy en octobre 2007 n’a pu s’épargner cet exercice: « … le système colonial ne pouvait être vécu autrement que comme une entreprise d’asservissement et d’exploitation ». Bravo Nicolas, et que deviennent dans votre histoire les Arabes qui n’ont pas vécu la présence de la France comme une entreprise d’asservissement? Même Abd-El Kader n’a pas tenu de tels propos! [Reprendre la lecture]

(7) De même pour Guy Pervillé , il n’y a pas repentance des Présidents Chirac, Sarkozy et Hollande (« Histoire iconoclaste de la guerre d’Algérie », Vendémiaire 2018, p9). Nous ne partageons donc pas cet avis, le sens strict de repentance nous apparaissant  réducteur et par là trompeur: F Hollande a clairement déclaré la culpabilité de la France dans les difficultés passées et actuelles de l’Algérie, avec encore plus de force que Chirac et Sarkozy. Nous parlerons ici de repentance, au sens de culpabilisation. [Reprendre la lecture]

(8) Concernant l’Algérie s’impose néanmoins une circonstance justifiée de repentance: celle concernant le sort des harkis. Reconnaissons à F Hollande le mérite d’y avoir fait référence. [Reprendre la lecture]

(9) Évidemment, F Hollande ne faisait guère que reprendre la doxa repentante qui sévit depuis des décennies. Deux mois avant son déplacement, France Télévisions nous proposait « L’Algérie à l’épreuve du pouvoir » qui d’emblée nous imposait son verdict définitif: le 5 juillet 1962 l’Algérie émergeait de  « la longue nuit coloniale ».(Hervé Bourges et Jérôme Sesquin). Cette expression est en fait banalisée. La France a donc plongé dans la nuit en 1830 une Algérie qui n’existait pas, après trois siècles de lumineuse occupation turque! [Reprendre la lecture]

(10) « La conquête et la colonisation par les plus forts sont des phénomènes aussi vieux que l’histoire » nous rappelle fort à propos Hubert Védrine  (« Compte à rebours » Fayard 2018 p233). Nous pourrions rectifier:  « aussi vieux que la préhistoire, et n’ont en rien cessé au 21ième siècle ». [Reprendre la lecture]

(11) le Champa est à l’origine des plus beaux sites archéologiques du Vietnam, en particulier celui de My Son, l’équivalent en plus modeste  d’Angkor au Cambodge. [Reprendre la lecture]

(12) L’année même où la Chine envahissait militairement le Tibet, elle était la seule grande puissance non arabo-musulmane à reconnaître le FLN algérien (plus précisément le GPRA en novembre 59), prélude à sa reconnaissance par l’ONU (décembre 1960?). Après la concomitance entre la répression de Budapest sur laquelle les États-Unis fermèrent les yeux, et l’intervention américano-soviétique dans l’échec de l’expédition de Suez en 1956, ce paradoxe chinois est révélateur: la « décolonisation » n’est que le symptôme de l’affaiblissement de l’Europe, sur tous les plans, dans la marche du monde après 1945. L’Europe « décolonise » sous la pression des nouvelles grandes puissances colonisatrices (Amérique pays de colons, Russie avec la Sibérie et l’Europe de l’Est, Chine avec le Sin Kiang et le Tibet…), sans même en avoir tout à fait conscience. [Reprendre la lecture]

(13) Il n’est guère contestable que 1962 marque un retour en force de la colonisation arabo-musulmane (recours à des « enseignants » wahhabites en provenance d’Arabie Saoudite ou ceux dont Nasser s’est volontairement débarrassé) en Algérie au détriment des berbères en particulier kabyles, recolonisation largement responsable de la guerre civile des années 1990. Citons Kateb Yacine (1929-89), même s’il n’a pas connu la récente guerre civile algérienne: « L’Algérie française a duré 130 ans. L’arabo-islamisme dure depuis 13 siècles! L’aliénation la plus profonde, ce n’est plus de se croire français, mais de se croire arabe. Or, il n’y a pas de race arabe, ni de nation arabe. Il y a la langue sacrée, la langue du Coran dont les dirigeants se servent pour masquer au peuple sa propre identité. » Plus récemment n’assiste t-on pas à une intrusion chinoise massive dans tous les rouages de l’économie algérienne jusqu’à la construction de la mosquée géante d’Alger? On ne cesse de s’en prendre à la France alors que les Chinois sont partout, fait ainsi remarquer Kamel Daoud. [Reprendre la lecture]

(14) Ce questionnement est le fait de l’Europe en général. Évidemment le partage du monde opéré par le traité de Tordesillas en 1494 est l’expression d’une présomption hispanique incompréhensible de nos jours, mais la Controverse de Valladolid serait déjà la manifestation de réels scrupules dès 1550-51, bien que son contenu réel soit toujours… controversé. Le téléfilm de 1992, avec notamment JP Marielle dans un de ses meilleurs rôles, relate cet évènement avec brio ( et une certaine liberté), mais une fois encore il ne peut éviter l’empreinte de la repentance. 

Dissonance, la colonisation du continent Nord-Américain où les colonisateurs sans trop d’états d’âme se sont attribués le statut de décolonisés après avoir réduit les vrais colonisés, les Amérindiens, à peu de choses, ( et de quoi embrouiller le tableau, auraient été découverts des vestiges d’homme blanc précédant les Amérindiens!) [Reprendre la lecture]

(15) Rappelons à ce propos les travaux peu contestés de Jacques Marseille selon lesquels la Métropole n’a pas réellement tiré profit économiquement de ses colonies. [Reprendre la lecture]

(16) Depuis est sorti « L’Archipel français, naissance d’une nation multiple et divisée » (Seuil 2019) de Jérôme Fourquet, qui devrait faire date (Prix du livre politique 2019). Exposé plutôt ardu, difficile à parcourir d’un trait. [Reprendre la lecture]

(17) Ce qu’il est facile de démontrer: tous en chœur nos intellectuels prétendent que la vision d’Huntington a  justifié l’intervention de Bush junior en Irak en 2003.  Huntington défend tout au contraire le retour à l’isolationnisme et, pour mieux se faire comprendre,  son dernier chapitre est consacré à une fiction décrivant une hypothétique intervention extérieure américaine qui tourne au désastre. [Reprendre la lecture]

(18) Le Prado, dont certains membres ont été des porteurs de valise, reconnaît sa sensibilité au marxisme (reportage KTO du 17 novembre 2019), mais le christianisme ne recourt pas nécessairement au marxisme pour nourrir la repentance. Plus d’une source chrétienne de la repentance semble apparaître d’elle-même. Il y a par exemple celle qui définit « l’Autre » comme simple négatif de nos défauts (cf l’analyse de M. Bock-Coté). Celle de Paul Valadier présente un tout autre intérêt: « Certes aucune des civilisations connues par l’ethnographie ou l’histoire ne peut se présenter dans une virginité totale, et nous sommes revenus depuis longtemps des mythes du bon sauvage ou du primitif plus moral que le civilisé qui enchantaient encore Diderot dans le Supplément au voyage de Bougainville (encore que , si j’en croix certains propos entendus ces derniers jours, ceci ne soit point encore acquis pour tout le monde!). Mais comme Européens, nous sommes redevables de la civilisation qui est la nôtre, et non point tenus d’équilibrer nos responsabilités en instituant un tribunal universel devant lequel nous pourrions prétendre justifier nos forfaits en regard de ceux des autres. » Colloque, Université catholique de Lyon; conquête et Évangile en Amérique Latine, 28au 30 janvier 1992 p267 Ed Profac.

Autrement dit il faudrait plutôt juger l’Europe, donc la France, non pas à l’aune de l’histoire mais à celle de valeurs et de règles d’une exigence hors norme, celles du christianisme, à commencer par « Tu ne tueras pas ». Point de vue d’une grande hauteur morale, mais combien irréaliste et finalement peu sage : notre histoire doit être jugée à l’aune de l’histoire, la France doit être jugée en rapport aux autres nations. Évidemment, au seul regard des exigences chrétiennes, aucune histoire nationale ne risque de trouver grâce. [Reprendre la lecture]

(19) Albert Camus aurait mis en évidence cette responsabilité du marxisme dans L’Homme révolté, je ne l’ai pas lu ( Wikipedia 25nov2019: Marx a réintroduit dans le monde déchristianisé la faute et le châtiment, mais en face de l’histoire. Le marxisme, sous un de ses aspects, est une doctrine de culpabilité quant à l’homme, d’innocence quant à l’histoire. Entendons « le sens de l’histoire »)

  Incontestablement, le marxisme a fasciné des générations en France et les promoteurs de la repentance ont souvent subi cette fascination . Pour autant cette explication rencontre ses limites lorsqu’on prend en considération le cas des États-Unis: une société peu affectée par le marxisme, mais largement par le phénomène de la repentance. Autrement dit sur cette question, il y a encore à creuser. Pour commencer, une recherche chronologique rigoureuse devrait s’imposer. Il est vrai que la question de la repentance ne se pose pas dans les mêmes termes pour les Européens et les Américains. Ces derniers ont peut-être motif à culpabiliser: quasi extermination des autochtones au Nord, disparition de brillantes civilisations au Centre et au Sud. Peut-être est-ce du côté du christianisme, le christianisme « progressiste » qu’il faudrait regarder de plus près? A contrario, pas de repentance semble t-il en dehors de l’Occident chrétien. L’Islam mériterait une place à part avec notamment Tamerlan (turco-mongol du 14ième siècle), un des plus grands massacreurs de l’histoire de l’humanité, promu héros national en Ouzbékistan: existe t-il un pays musulman affecté par une quelconque repentance? J’attends la réponse.

Sur la repentance américaine cf « la gauche décoloniale colonise le monde » de Jérôme Blanchet-Gravel, « Causeur » 12 août 2019. Le parti démocrate avec notamment Alexandria Ocasio-Cortez est devenue l’avant-garde mondiale de la gauche indigéniste qui fait dans le racisme inversé (en dénonçant « les privilèges blancs », « la blanchitude », « le racisme systémique »…). Ce mouvement s’inspirerait de la « French Theory » (avec sa « déconstruction »): Althusser, J Baudrillard, Simone de Beauvoir, Gilles Deleuze, J Derrida, Michel Foucault (« l’antipsychiatrie »…), Lacan, Lyotard, mais aussi Claude Lévi-Strauss. Le concept de French Theory est américain et rassemble des personnalités singulières (autrement dit, ce serait un mouvement hétéroclite), dont la notoriété tend à s’estomper en France après 1968 (du fait des « Nouveaux Philosophes ») alors que la French Theory prend son essor aux EU. [Reprendre la lecture]

(20) Germaine Tillion (1907-2008): est-il besoin de la présenter? Résistante et déportée, ethnologue et panthéonisée à juste titre.  Daniel Cohen: une référence en économie. En fait, les phénomènes de déstructuration de sociétés traditionnelles ou primitives par simple contact (avec des explorateurs, puis des touristes etc..) avec la modernité occidentale, sans colonisation ni « exploitation » , se sont multipliés avec la mondialisation des dernières décennies. Citons « Mon année chez les Korowaï » de Will Millard (Arte juin2019) en Papouasie occidentale: les Korowaï, des chasseurs-cueilleurs isolés jusque dans les années 80. Will Millard réalise l’impact destructeur de ses propres tournées avec l’abandon du mode de vie traditionnel et la manifestation d’une subite cupidité. Le simple aperçu du confort et de la puissance du monde industriel fait s’effondrer tout un système de valeurs séculaires voire millénaires et c’est alors que la misère risque fort de se manifester, les envies qui se libèrent ne pouvant être assouvies. Cette misère étrangère par exemple aux Bochimans du Kalahari, tant qu’ils demeurèrent éloignés des Blancs ou simplement des agriculteurs Bantous au point que des ethnologues, non sans raison, ont qualifié cette société de société d’abondance alors qu’à nos yeux d’Occidentaux, elle est invivable sinon misérable. (« Âge de pierre, âge d’abondance » Marshall Sahlins, Gallimard 1976). Aujourd’hui les Bochimans sont autrement plus « riches » en s’appropriant les outils de la modernité, avec, pour nombre d’entre eux, une profonde nostalgie du monde de leurs parents. Répétons le: la misère dans les pays encore parfois qualifiés de « sous-développés » est un phénomène essentiellement culturel, alors que prédomine encore la vulgate marxiste (l’Afrique ne cesse d’être décrite comme « pillée ») entretenue, il est vrai, par l’activité souvent ambiguë des entreprises capitalistes de moins en moins européennes par ailleurs.   [Reprendre la lecture]

(21) Sur la question, cf les travaux en particulier de Roger Vétillard. « La guerre d’Algérie, une guerre sainte? » Ed Atlantis 2020.   La qualité première de ce médecin est la rigueur. J’y ajouterai les remarques de mon oncle, lui aussi médecin, qui, de 1942 à 1945, participa en djellaba à la libération de la France en tant que goumier: en Afrique du Nord, le communisme, c’est du vent, disait-il; le seul danger c’est le « fondamentalisme », terme qu’il utilisait dès les années 1950. Savait-il qu’il était en bonne compagnie avec Albert Camus selon qui le FLN n’était autre qu’une organisation terroriste arabo-islamiste maniant une réthorique socialiste pour donner le change aux Tiers-mondistes?(Jeannine Verdès-Leroux et JY Guérin, L’Algérie et la France p160) [Reprendre la lecture]

(22) « Terreur dans l’Hexagone, genèse du djihad français » Gallimard 2015. En fait G Kepel a encore contribué à deux ouvrages depuis. Quant à un scénario réaliste de guerre civile, impossible de ne pas mentionner « Guerilla » de Laurent Obertone , La Mécanique Générale 2018, 9,90€; se lit comme un thriller, très bien renseigné (par exemple l’analyse de la paralysie du  pays par une panne d’électricité, ou la nature des armes détenues actuellement dans les cités etc.), par ailleurs un révélateur de la société française autrement plus efficace que bien des études académiques, (Laurent  Obertone est cependant anthropologue.) [Reprendre la lecture]

(23) Curieusement, la France de nos jours semble emprunter sans le savoir la même voie, celle de la perte de repères en faisant profil bas sur ses valeurs et traditions en guise de réponse au prosélytisme musulman. Pierre Manent analyse ce phénomène qu’il attribue à la prétention de l’Europe à l’Universel. En s’ouvrant sans réticence à l’Islam et en s’affranchissant clairement de sa tutelle historique chrétienne, l’Europe deviendrait la première étape de l’Humanité réconciliée! Notre intelligentsia a toujours eu du mal à saisir la réalité du terrain. (« La loi naturelle et les droits de l’homme » PUF 2018). [Reprendre la lecture]

(24) L’historien JJ Jordi fait dorénavant référence à la véracité, démarche alliant honnêteté et rigueur vers la vérité. Sollicitons Gil Mihaely: la Vérité historique, comme l’étoile du Berger, reste hors de portée mais doit servir de repère. Son article (Causeur n°61, octobre 2018), sur « Zemmour, romancier national » est remarquable. Retenons: « l’histoire servait de fondation à l’édifice national, elle est devenue l’acteur de sa déconstruction », « Peut-être que dans le monde désenchanté qui est le nôtre, nous avons besoin de romans », « Si nous voulons rester une nation… nous avons besoin d’un récit national. Celui-ci ne peut se trouver… dans une Histoire Mondiale (P Boucheron) dont le propos est de montrer que la France est une hypothèse ou une éventualité. », « La guerre du récit commun étant peut-être définitivement perdue, une autre menace surgit: la victoire de l’oubli et de l’indifférence. Il suffit d’observer et d’écouter… le cinéma et les jeux vidéo produisent à la chaîne des bouillies vaguement inspirées du passé. » A vrai dire, un récit national qui fasse consensus en France semble une hypothèse assez peu réaliste, mais les travaux de bonne facture ne manquent pas: histoire « roman » avec Jean-Christian Petitfils, didactique avec Dimitri Casali, plus spécialisée avec Yves Montagnon ou Philippe Héduy etc..  [Reprendre la lecture]

(25) Seul Ajaccio a fêté les 250 ans de la naissance de Napoléon ce 15 août 2019 en France, grande discrétion ailleurs notamment chez nos gouvernants. Pourtant, E Macron ne se prive pas de se référer personnellement à Napoléon (cf Philippe Besson) jusqu’à tirer l’oreille de son Maréchal de l’Intérieur G Collomb; mais ne faut-il pas sacrifier à l’air du temps, donc écarter le petit caporal? [Reprendre la lecture]

(26) Dans « Murmures à la jeunesse » Christiane Taubira, communicante non dénuée de charisme,  nous explique benoîtement que Shoah et colonisation sont de même nature; combien sinistre serait toute l’histoire de l’homme!!

Rappelons tout de même que plus d’un de nos humanistes patentés, ont pleinement soutenu la mission civilisatrice. Jean Jaurés (1832-1914): « Quand nous prenons possession d’un pays, nous devons y amener avec nous la gloire de la France, et soyez sûrs qu’on y fera bon accueil, car elle est pure autant que grande, pénétrée de justice et de bonté. » Tout autant Émile Zola (1840-1902): « L’Afrique est le complément naturel de la Métropole… Ce royaume appartiendra au laboureur qui a osé le prendre, s’y tailler à son gré un domaine aussi vaste que la force de son travail l’aura créée. » Jean-Pierre Brun cite tout aussi bien Louis Blanc (1811-1886), socialiste révolutionnaire de 1848, Albert Bayet (1880-1961) de la ligue des Droits de l’homme etc.. (in Les voies incertaines de la repentance p17 à 21, édition Dualpha 2015)   [Reprendre la lecture]

(27) Sur ce point , consulter le remarquable témoignage « Kiffe la France » de JF Chemain (Ed Via Romana 2015), après 10 ans d’enseignement dans un collège de Vénissieux : comment l’école contribue aujourd’hui à rendre notre pays haïssable. [Reprendre la lecture]

(28) Le public de ce film de Rachid Bouchareb sorti en 2006 ne se limite pas au public lycéen: Alice Zeniter (née en 1986) s’y réfère dans « L’Art de perdre »:  ce serait donc la perte de 50000 « hommes des colonies » qui aurait permis la victoire alliée à Cassino (p210) . Ce « roman »  obtint entre autres le prix Goncourt des lycéens (2017) et c’est ainsi que s’enracine une mémoire tronquée. [Reprendre la lecture]

(29) Incertaines à un double titre: elles ont un problème sérieux de gouvernance, leur découpage géographique par des frontières ignorant trop souvent la réalité  des ethnies expliquant souvent ceci. [Reprendre la lecture]

(30) Une société individualiste, centrée sur la consommation et le pouvoir d’achat, dénuée de transcendance, excite la convoitise et ne demande guère qu’à se soumettre. Dans ce paysage, le Trumpisme ne manque pas d’une certaine légitimité, au prix d’un aveuglement que les États-Unis payeront rapidement.  D’autres voies s’ouvrent pour faire face aux dérives de la mondialisation justement contestée aujourd’hui; simple point de vue à ce jour, il reste à l’étayer. [Reprendre la lecture]

(31) Le constat de Guy Hennebelle a d’autant plus de portée qu’il est l’aboutissement d’un cheminement personnel,  de l’engagement tiers-mondiste juvénile vers un horizon  de maturité. Il élargit le champ du « culpabilisme » bien au delà de notre investigation. À juste titre, reconnaissons-le: l’esprit de repentance est tellement prégnant en Occident inondant par exemple le monde tout puissant des media, de l’émission télévisée, fiction ou documentaire, jusqu’à la  bande dessinée (en la matière, une perle: dans la série « Les Grandes batailles navales », celle de Lépante. Mais quelle mouche a donc piqué Jean-Yves Delitte pour faire de Pie V un personnage pervers et cupide si ce n’est le virus de la repentance, version  islamo-gauchiste? Et nos institutions les plus respectables, à commencer par le musée de la Marine Nationale, de se laisser embarquer dans cette triste galère…) au point que nous n’en ayons plus la moindre conscience. Nos lectures d’enfance sont, elles aussi, mises au pas: ainsi dans la nouvelle version BD du Club des cinq en vacances, le sorcier noir victime de la Traite des Blancs se substitue aux Saints du Paradis. Pas sûr qu’Enid Blyton aurait apprécié. [Reprendre la lecture]

32) Bugeaud présenté par exemple par B Stora (émission « les Inrockuptibles, 24/10/19):

« Il a mis en place en Algérie des stratégies militaires de colonnes infernales, qui avaient été utilisées en Vendée sous la Révolution française, mais aussi des enfumades, des razzias, des regroupements de populations, etc. Cette stratégie de massacres a été racontée par beaucoup de témoins. » On a alors du mal à comprendre le respect manifesté par Abd El Kader à un tel personnage. Sauf qu’en dehors des razzias, pratique, comme son nom l’indique, familière à l’Afrique du Nord avant que Bugeaud n’y mette les pieds, le reste mérite qu’on y revienne. À ma connaissance, les colonnes infernales de Turreau de 1794 pratiquaient non seulement la razzia mais massacraient sans laisser la moindre issue de reddition, à la différence des deux enfumades (justement dénoncées à Paris). La différence n’est pas anecdotique. Elle montre notamment que les guerriers de la tribu acceptaient de s’abriter derrière femmes et enfants, pour éviter de se rendre. En tout cas, ces événements encore largement ressassés en Algérie au 21ième siècle, mériteraient qu’on y revienne pour ne pas en laisser le monopole biaisé à nos repentants.

33)  Au vu de « Ecole, ce que proposent les historiens » (La Croix 22 octobre 2018p2,3), la tendance actuelle nous paraît bien orientée. Ainsi Jean-Pierre Rioux: « ancrer les jeunes dans la temporalité…accorder de l’attention à la chronologie… sens accru de l’argumentation…pourquoi tel évènement? » Éric Anceau (Maître de conférences en histoire contemporaine à Paris-Sorbonne, apparemment dans le CSP: Conseil Supérieur des Programmes): faire davantage comprendre aux jeunes le lien charnel qui lie au pays et à son histoire… des portraits vivants des grands acteurs de l’histoire et du récit…une histoire vivante, incarnée et saisissable ». Hervé Drévillon (Professeur d’histoire moderne à Paris1 Panthéon Sorbonne): « Enseigner l’histoire pose la question de parler de la guerre ou du fait militaire. La guerre interroge le fait national, elle est une interaction avec les autres peuples dans laquelle la France s’est constituée en nation. »

34 « Lorsque les Français, en 1830, débarquent sur cette terre appelée « La Régence d’Alger », celle-ci ne ressemble en rien à un État. Dans la mouvance turque elle se divise en beyliks quasi autonomes et moyenâgeux. Monde rural, elle vit sans infrastructures urbaines, portuaires, routières industrielles. Au départ de la France en juillet 1962, elle possède un nom « Algérie », et des frontières reconnues qui ont décuplé sa superficie d’état unifié et administré ( 2,4millions de km2. Contre moins de 200 000). Des villes, des ports, des aérodromes ont été créés. Des voies de communications sillonnent le pays. L’industrie se développe. L’agriculture florissante exporte. Des écoles, des hôpitaux ont vu le jour, les épidémies sont enrayées. Le pétrole, le gaz assurent des finances saines. La population s’est multipliée au moins par trois. Un demi-siècle après la rupture du lien entre la France et l’Algérie, alors que l’horizon s’assombrit entre deux civilisations, le legs de 1962 reste matière à controverse. Et pourtant ! Ferhat Abbas, le premier chef de l’État de la République algérienne, écrivait : « La colonisation était morte, ce qu’elle avait abandonné dans notre pays représentait un actif considérable. Comment allions-nous le préserver, l’enrichir et le conserver au profit de nos masses ? » P Montagnon « Algérie, le legs français ».

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