Rapport Stora analysé par Claude Barrière

17/07/2021 0 Par admin

RAPPORT STORA

Des intentions louables Notre Président envisage une réconciliation avec l’Algérie, peut-être sur le modèle de la réconciliation réussie entre la France et l’Allemagne après la 2ième guerre. Objectifs : relancer nos échanges avec l’Algérie, entretenir une certaine coopération dans le domaine de la sécurité, favoriser l’intégration des jeunes Français d’origine algérienne. (1)

La mission confiée à Benjamin Stora est destinée à avancer dans cette voie théoriquement de pair avec le représentant A Chiki du gouvernement algérien. Une directive présidentielle est perceptible : refus d’une repentance et d’excuses françaises officielles à l’Algérie.

Le face à face devait être :

  1. B Stora historien militant en faveur du FLN (2) depuis 45 ans.

  2. A Chiki représentant le gouvernement algérien issu du FLN.

Démarche et Message de Stora

  • Pas d’histoire partagée avec les autorités algériennes

En fait B Stora rédige seul son rapport face à des autorités algériennes attentistes. En effet, bien conscient des outrances et des affabulations algériennes, qu’il qualifie avec complaisance de « trop plein d’Histoire » , il se garde de compromettre son travail d’historien militant de plus de quatre décennies en coopérant avec les autorités algériennes pour une quelconque histoire partagée dont le caractère affabulateur ne peut être masqué.

  • Stora s’intronise l’Historien arbitre des Mémoires (3)

Il reprend alors le compte-rendu qu’on lui connaît de l’évolution de l’histoire et des mémoires sur 132 ans de colonisation française avec son habituelle prétention , le statut de l’historien objectif et impartial au-dessus des mémoires :

p10« on verra que la liberté d’esprit et le travail historique sont des contre-feux nécessaires aux incendies de mémoires enflammées »

p28-29 : « À côté des ouvrages de mémoires d’acteurs engagés dans le conflit, existent désormais les récits d’historiens qui racontent, sans complaisance ni désir moralisateur (4) »

Tout en prenant ostensiblement parti :

p18 : «  Dans la compréhension des violences commises, il ne s’agira donc pas de renvoyer dos à dos Français et Algériens dans la conduite de la guerre. »

Comprendre, il y a une bonne et une mauvaise violence car il y a un sens de l’histoire désignant le coupable:

p18 : « la responsabilité première du conflit se comprend par l’établissement d’un système colonial très fermé » Ainsi se justifient :

  • Des avancées du militant Stora vers plus de repentance

Ce rapport est donc l’occasion pour le militant d’imposer un peu plus son « sens de l’histoire » : les 132 ans de colonisation française dont l’Algérie s’est libérée grâce au FLN. Ainsi nous est-il rappelé de commémorer le 19 mars 1962 (victoire du FLN) après le 17 octobre 1961 (répression du FLN par l’État français auquel il a déclaré la guerre) et d’honorer des militants du FLN (par exemple le responsable des attentats sur Alger, Larbi Ben M’Hidi exécuté par l’armée française)…

tout en contournant les directives d’E Macron : ainsi repentance et excuses de la France ne sont pas explicitement exigées dans le rapport, mais à ceux qui n’auraient pas compris, B Stora précise dans une interview dans le journal algérien Expression du 7 février 2021 :

« Soyons clairs, il n’y a pas dans mon rapport le slogan ni excuses, ni repentance »

Son IMPACT

Difficile, dans l’immédiat, d’en mesurer l’ampleur, cependant :

  • E Macron entérine certaines propositions (reconnaissance de « l’assassinat » d’Ali Boumendjel…) : la repentance Stora est un peu plus banalisée que ce soit dans les media et probablement à l’école (5). Stora escompterait par ailleurs faire passer quelques propositions de lois par l’intermédiaire du PS et des « Insoumis ».

  • du côté algérien, le rapport Stora est présenté comme beaucoup trop timide : comme il fallait s’y attendre, ce rapport et les mesures qui l’accompagnent ne font qu’encourager la partie algérienne qui apprécie cette avancée, à exiger toujours plus. (6)

  • cependant, la contestation prend de l’ampleur en France, elle est double :

    contestation attendue de la part des Harkis et de Pieds Noirs qui réfutent ce rapport, sans concession.

    contestation plus novatrice de nombreux historiens, en particulier la critique collective dirigée par Guy Pervillé et JJ Jordi qui souligne le caractère idéologique de ce rapport plus à même d’attiser le conflit des mémoires que de les réconcilier. (http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=460)

REMETTRE LES PENDULES À L’HEURE

Peu de réactions apparentes en faveur du Rapport Stora, il est vrai, mais l’équipe Stora Macron (7) a cependant réussi à nous maintenir sur son terrain, celui de la repentance coloniale, une revendication algérienne toujours plus forte depuis 1962 appuyée par notre intelligentsia en France, orpheline de l’espérance communiste.

Il n’y a aucune raison de se laisser embarquer dans cette représentation toujours dominante.

Le problème de l’Algérie aujourd’hui, c’est celui de 60 ans de pouvoir sans partage d’une faction, celui de son lourd passif, rien d’autre. (8)

En revenir à la guerre de 1954 à 1962, ou, plus fort, s’en prendre à 132 ans de colonisation française, c’est simplement détourner le regard de ces soixante dernières années et leur bilan, simplement calamiteux

La démarche d’E Macron, est exactement l’inverse de celle qu’il s’agit d’adopter si la France espère améliorer ses relations avec l’Algérie et les Algériens.

Concernant le passé colonisateur , rappeler simplement :

– que seule l’invasion hilalienne du 11ème siècle, ou deuxième vague de colonisation arabo-musulmane, peut se comparer en terme de destruction à celle des Vandales (cf le jugement d’Ibn Kaldoun).

– que seule la colonisation française a pu rivaliser avec celle de Rome en matière de développement, après avoir mis fin à trois siècles de colonisation turque particulièrement stérile.

– qu’une erreur politique majeure a été commise en 1962 : celle de l’abandon de l’Algérie au FLN, une « minorité de rebelles fanatiques, terroristes et racistes » (9) selon les termes pertinents du Manifeste des Intellectuels français d’octobre 1960, rapportés dans la critique de Pervillé et Jordi ; abandon au FLN autorisant une récidive en 1962 de la colonisation arabo-musulmane dégénérant en guerre civile dans les années 1990.

que seule, une double repentance peut se justifier : celle de l’abandon des Pieds Noirs, en particulier à l’occasion du massacre du 5 juillet 1962 et, plus encore, la question des Harkis qui ont cru en la France : les plus chanceux ont été parqués en France, le plus grand nombre a été désarmé avant d’être livré à leur ennemi, puis le plus souvent massacré.

Concernant la situation présente : rappeler que les seuls comptes à rendre (10) le sont par le Système au pouvoir en Algérie depuis 60 ans.

Comprendre que le régime en place n’a aucune volonté de réconciliation alors qu’il n’a de cesse de faire reposer sa fragile légitimité sur la France érigée en bouc émissaire depuis 1962.

Ne pas s’attendre à convaincre rapidement une opinion publique algérienne socialisée dans un tel contexte (11), d’autant que le discours des autorités algériennes tend à être accrédité par l’intelligentsia française de la repentance.

Avec le régime Tebboune tout comme celui d’Erdogan (12), la référence à l’histoire relève de la manipulation, et du simple rapport de force à court terme. Une « réconciliation mémorielle » entre France et Algérie ne peut, dans ces conditions qu’être soumission française.

1) E Macron sur Brut le21 janv 21 : « Je pense qu’aujourd’hui, on a à finir le travail historique sur la guerre d’Algérie, c’est la mission demandée à Benjamin Stora… » Traduire : il faut que cette démarche de repentance entamée avec Jacques Chirac aboutisse à sa conclusion, que je connais de longue date, moi, E Macron. Le moins que l’on puisse dire, c’est que notre Président ne manque pas d’air.

2) Stora était à l’origine mieux disposé à l’égard du MNA que du FLN, surtout après la tournure des événements à partir de l’été 1962. Il est donc le militant d’un FLN hypothétique, celui qu’il espérait voir s’imposer, mais il n’en ménage pas moins le régime en place malgré la méfiance qu’il éprouve à son égard. N’oublions pas que c’est le Président Tebboune qui a proposé la candidature de B Stora pour ce travail de « réconciliation », E Macron s’est contenté de l’entériner.

En fait Stora consacre sa vie à promouvoir « une certaine idée de l’Algérie » depuis une quarantaine d’années, en recourant aux moyens intellectuels et institutionnels que son engagement trotskyste lui a permis de mobiliser dans une France repentante …

3) Que dire du couple Histoire et Mémoire ? En accord avec Stora pour ce qui est du rôle de la mémoire, facteur d’identité, qui ne s’embarrasse pas toujours d’une sérieuse vérification des faits. Mais désaccord sur la claire distinction entre les deux : l’histoire ne peut s’abstraire d’une certaine subjectivité . Autant d’historiens, autant d’histoires, l’État pouvant privilégier une histoire rendue officielle. Une nette distinction doit cependant être établie entre les historiens : ceux qui ne préjugent pas des conclusions de leurs recherches tel Guy Pervillé, Sylvie Thénault, Charles-Robert Ageron, G Meynier etc.. et les militants qui vont délibérément « arranger » la présentation des informations préalablement sélectionnées, en masquer certaines, en valoriser d’autres jusqu’à les déformer pour imposer leurs vues, c’est le cas de B Stora, Tramor Quemeneur (en particulier dans l’Historia d’avril 2021) tout comme P Blanchard etc. L’honnêteté intellectuelle n’est alors plus guère au rendez-vous.

4) « Ni désir moralisateur », nous dit Stora. Au 1erabord cette remarque est contradictoire avec son militantisme, son engagement pour un monde plus juste, plus égalitaire, plus libre. Il faut comprendre ce rejet affiché d’une certaine morale par l’acceptation de la violence, jusqu’au terrorisme, pour cet ordre meilleur. C’est là l’une des caractéristiques de la praxis marxiste. Il n’y aura donc pas lieu de dénoncer cette juste violence , pas même de trop l’exposer : c’est ainsi que Stora a toujours tenté de dissimuler le massacre du 5 juillet à Oran. Pour autant, il n’est pas question de prétendre ici réduire le débat sur la juste violence à la question marxiste.

5) Après la remise de son rapport, B Stora insiste sur la transmission scolaire aux jeunes Français « parce qu’il n’y a pas d’enseignement de l’histoire de la guerre d’indépendance algérienne en France… c’est très faible. Y’a pas d’histoire enseignée de la colonisation française. C’est une des grandes préconisations » de son Rapport. (France 24, 28 janv 21). Sur Brut du 21 janv 21, E Macron insiste lui aussi sur la nécessité de revoir sur cette question les manuels scolaires.

En fait, l’Algérie a déjà une place privilégiée en deux matières au moins : Histoire et Géopolitique en 1ère et Terminale, et déjà largement sur le mode de la repentance . Le pire serait-il encore à venir ? Il n’est pas si sûr que Stora et Macron partagent les mêmes convictions (cf note 7).

6) L’ONM, Organisation Nationale des Moudjahidin, pilier du « Système », l’a fermement condamné, et une pétition a été lancée par des députés algériens pour réclamer une nouvelle fois la criminalisation de la colonisation française. Nombre d’historiens algériens, pas toujours aux ordres des autorités d’ailleurs, tendent à les rejoindre. Comprendre la nature de ce régime clientéliste justifierait un autre exposé dont Bernard Lugan propose déjà une version éclairante. http://bernardlugan.blogspot.com/2021/01/rapport-stora-comment-pretendre.html

Ceci dit, tous ne sont pas dupes en Algérie même. Trouvé dans Le Point du 20 janv21 : « Mais pour l’éditorialiste de Liberté, il ne suffit pas de critiquer la démarche française. Il faudrait aussi s’interroger sur ce que l’Algérie officielle a fait de cette histoire tumultueuse. « Par-delà ces contingences, les propositions pratiques pour régler cette question de mémoire qui devrait naturellement rendre orphelins les rentiers de l’histoire et les nostalgiques des épisodes anciens de leur vie, l’on ne peut perdre de vue la nécessité, pour utiliser une terminologie familière, de balayer devant sa porte. Et de mettre fin à l’usage vulgairement commercial de l’histoire qui ressemble souvent à un abus de faiblesse qui s’articule autour d’arguments faussement patriotiques. »

7) Il n’est pas sûr que la position d’E Macron soit alignée sur celle de Stora. Pour E Macron, la repentance exprime sa volonté de tourner la page pour une relance de la coopération (cf ses échanges avec Boualem Sansal, ou son altercation avec un jeune Algérien en déc 2017 qui l’apostrophe au sujet de la colonisation française : « Qu’est que vous venez m’embrouillez avec ça? Vous, votre génération, elle doit regarder l’avenir »). Pour Stora, c’est différent, il s’agit avant tout d’imposer à la France une vision et une volonté algérienne et, au-delà, africaine. Il n’est donc pas assuré qu’E Macron donne plus de latitude à Stora pour disposer des programmes scolaires.

8) Jean Leca, l’un de ces grands universitaires s’engageant pour le FLN, puis en charge de l’Institut d’Études Politiques d’Alger de 1962 à 65 reconnaît aujourd’hui combien « en 1962, les fées ont été particulièrement nombreuses à se presser autour de l’Algérie. » (Encyclopedia Universalis), avant 60 ans de grand gâchis au terme duquel les exportations sont encore à plus de 95 % des hydrocarbures, la plupart des chantiers en Algérie aux mains des Chinois. Question : qui a construit la grande mosquée d’Alger inaugurée en 2019 ? Ce constat répond à celui de Ferhat Abbas porté en 1962 : « La colonisation était morte, ce qu’elle avait abandonné dans notre pays représentait un actif considérable. Comment allions-nous le préserver, l’enrichir et le conserver au profit de nos masses ?» . En revanche, quand vous entendez B Stora sur cette question… il renvoie à la politique de « la terre brûlée » de l’OAS (la menace fut réelle, la réalité assez insignifiante). Ou bien, concernant l’assistance technique offerte par la France sur cette période de 1962 à 1965, dénonce des structures de domination néo-colonialistes…

9) On pourra reprocher à ces 300 intellectuels de ne pas avoir bien perçu l’inéluctabilité de l’indépendance algérienne. Mais plus d’une solution alternative était envisageable. Quant au « terrorisme, fanatisme et racisme », il est corroboré par JP Lledo, réalisateur de « Histoires à ne pas dire », à qui l’on ne pourra pas reprocher de s’être accroché à « l’Algérie de Papa ». Faut-il encore rappeler les propos de De Gaulle rapportés par Alain Peyrefitte, selon lesquels De Gaulle reconnaît avoir bâclé la conclusion de la guerre d’Algérie.

10) Rappelons que l’hymne algérien s’en prend nommément à la France : « Ô France ! voici venu le jour où il te faut rendre des comptes, Prépare-toi ! Voici notre réponse Le verdict, Notre révolution le rendra » Question impertinente : combien de nos chefs d’État ont écouté, impassibles, cet hymne ? Imagine t-on jamais Xi Jing Ping ou Poutine dans une telle posture ?

11) La dernière des rumeurs en cours sur la Tour Eiffel prétendument en acier algérien n’est qu’une illustration parmi tant d’autres de l’environnement dans lequel baignent les Algériens souvent depuis leur naissance. Après recherche, il n’est pas impossible qu’il y ait une part de minerai algérien, mais en faire un motif de revendication est révélateur. L’ouverture d’une nouvelle chaîne télévisée, centrée sur la colonisation française, en novembre 2020, s’ajoute aux nombreuses institutions chargées d’ériger la France en bouc émissaire de l’Algérie depuis 1962. (cf note6)

12) Pourquoi se référer à Erdogan ? Tout d’abord parce la Régence d’Alger était aux mains des Turcs et qu’Erdogan dénonce, tout comme Tebboune, le « génocide français en Algérie ». Mais face à Xi Jing Ping, il n’a pas refusé de signer en décembre 2021 un traité d’extradition des Ouïghours (Musulmans turcophones) qui réussissent à fuir la Chine pour la Turquie. Autrement dit, d’un côté Erdogan contribue, aujourd’hui même, à une colonisation avec assimilation extrêmement coercitive d’un peuple apparenté qu’il abandonne ; de l’autre il s’en prend violemment à la France pour sa colonisation se substituant à celle de la Turquie il y a plus d’un siècle et contribuant, quoiqu’on en dise, au développement économique et démographique de l’ Afrique du Nord. Il est d’ailleurs cocasse de constater que c’est l’Union Européenne qui se préoccupe aujourd’hui du sort des Ouïghours abandonnés sinon trahis par Erdogan.

Et peut-on imaginer Poutine faisant repentance à Grozny qu’il a réduit en cendre début 2000, la Tchétchénie offrant à bien des égards des similitudes avec la question algérienne ?

L’histoire, partagée ou non, est le plus souvent le produit d’un simple rapport de force. Vue la nature du régime algérien, la « réconciliation » ne peut plus être que l’expression d’une soumission française, ce point de vue est partagé par G Pervillé et JJ Jordi.