Oran 5 juillet 1962, un événement d’actualité

09/11/2018 4 Par admin

5 juillet 1962; plus d’un demi-siècle écoulé, la page n’est-elle pas définitivement tournée? Bien au contraire.

Démonstration:

La guerre d’Algérie de 1954 à 1962 ne manqua pas d’épisodes sanglants répréhensibles  de part et d’autre, ce point ne fait pas débat (1). Mais l’événement dont nous traitons aujourd’hui est l’un des plus graves, sinon le plus grave, et celui-ci  est vraiment passé inaperçu pendant un demi-siècle, vraiment.

Les 2 visages de l’indépendance Stora Meurice ALGER 5 JUILLET 62

Pour le 5 juillet 1962, l’exclusivité a longtemps été réservée aux festivités accompagnant la proclamation de l’indépendance de L’Algérie, sauf à Oran, deuxième ville de l’Algérie, en particulier par l’importance de sa population européenne. Et pour cause, les mêmes festivités dégénèrent en un massacre d’une gravité hors norme , cet événement ayant été durablement occulté jusqu’à récemment pour retrouver un caractère d’actualité.

Un événement d’une gravité hors norme

Quel événement ?

Tout d’abord son contexte :

Les Accords d’Évian du 18 mars 62 ont instauré officiellement un cessez le feu à partir du 19 mars 1962 entre l’État français et le FLN, Front de Libération National.

Seulement le conflit ne se résume pas à un face à face entre ces deux acteurs.

Le FLN, déjà, n’est pas une structure unifiée : en simplifiant, on distinguera en son sein trois composantes : le GPRA, Gouvernement Provisoire de la République Algérienne, qui négociait à Evian et dont seul un représentant sur trois a accepté de signer ces Accords le 18 mars. C’est l’instance politique et civile du FLN, mais elle n’est guère en mesure d’imposer sa volonté aux combattants de l’intérieur organisés en Wilaya (6 unités militaires correspondant à des régions, Oran relève de la Wilaya 5 tout en ayant une autonomie propre, c’est la Zone autonome d’Oran théoriquement dirigée par le capitaine Bakhti) (2), et encore moins à ceux de l’extérieur au Maroc et en Tunisie, l’ALN, Armée de Libération Nationale sous le commandement de Boumédienne.

Enfin une majorité de Pieds Noirs soutiennent l’OAS et ne reconnaissent pas cet accord conclu, pensent-ils à juste titre, à leur détriment (3).

Aussi le 19 mars n’est pas la fin de la guerre mais il l’annonce vu le déséquilibre dorénavant des forces en présence. Les ennemis d’hier deviennent des alliés pour éliminer l’OAS. En même temps, le FLN a toute liberté de se retourner contre les Musulmans qui avaient choisi le camp de la France, appelés communément Harkis et , contrairement à ce qui est souvent allégué, de poursuivre ses exactions à l’égard des Pieds Noirs. 

Après avoir fait illusion, l’OAS doit se rendre rapidement à l’évidence. Elle est progressivement décapitée à partir de mars (arrestation de Jouhaud, 25 mars, puis Salan, 20 avril) et reconnaît en mai son échec . Ainsi le 17 juin est conclu un accord avec le FLN qui aboutit au départ des commandos OAS ; ils quittent Oran le 28 juin.

Le référendum d’autodétermination du 1er juillet donne plus de 99 % de oui à la question « Voulez-vous que l’Algérie devienne un État indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par les déclarations du 19 mars 1962 ? » (Au vu des chiffres publiés, Maurice Faivre a pu facilement démontrer un bourrage des urnes de grande ampleur, tout en admettant que c’était une habitude)

A noter d’une part que le dernier chef en Algérie de l’OAS, Susini, a recommandé de voter oui, d’autre part que tous les référendums précédents proposés par De Gaulle depuis 1958, quelles que soient leurs propositions contradictoires dans le temps, ont obtenu un vote largement positif, même avec l’opposition du FLN. Autrement dit, De Gaulle a toujours été approuvé par référendum, ce qui ne fut pas le cas du FLN s’opposant à De Gaulle.

Le 3 juillet, De Gaulle proclame officiellement l’indépendance de l’Algérie (Balazuc p480, Zeller précise p84 que la souveraineté de la France est transférée au Président de l’Exécutif provisoire présidé par Abderrahmane Farès).

Et le 5 juillet, l’indépendance est fêtée tant à Oran qu’à Alger. L’événement va donc dégénérer à Oran.

Que sait-on aujourd’hui?

Les comptes rendus et témoignages ne manquent pas. En fait, ils ne permettent guère de se faire une idée exacte et complète du déroulement des événements dans la journée de ce 5 juillet à Oran (4), parfois contradictoires et de toute façon insuffisants en particulier du côté des autorités algériennes.

C’est le GPRA qui organisent les festivités à Oran, ce que confirment les pancartes « Halte au culte de la personnalité » qui ciblent Ben Bella soutenu par l’ALN. Les témoignages convergent pour reconnaître une atmosphère souvent bon enfant en début de journée, en présence d’ailleurs d’Européens sans inquiétude particulière.

Mais la situation va brutalement dégénérer en fin de matinée. Je me réfère surtout à la narration de Guillaume Zeller (p93 à 106):

« C’est aux alentours de 11h15 que claquent les premiers coups de feu… La vue du sang déclenche peur et fureur dans la foule… Aux alentours de midi…les coups de feu s’enchaînent à un rythme de plus en plus dense. Aux soldats de l’ALN et aux ATO qui ripostent plus ou moins à l’aveuglette à ces coups de feu mystérieux, se joignent des manifestants, don certains étaient venus armés de couteaux, de pistolets et même de pistolets-mitrailleurs, dissimulés sous leurs vêtements . Les manifestants s’éparpillent en petits groupes… et s’en prennent aux Européens. »

Ces agressions se transforment en massacre à grande échelle. Les émeutiers ne se contentent pas de lyncher les Européens attrapés dans la rue, il arrive qu’ils montent dans les immeubles pour en déloger les habitants et se livrent à des rafles lorsqu’ils n’assassinent pas sur place. En plusieurs lieux, on voit alors des processions d’Européens, surtout des hommes, des femmes aussi, bras en l’air, visages parfois tuméfiés, encadrés par des hommes souvent en uniforme.

Témoignage parmi tant d’autres de Jean-Pierre Chevènement, alors jeune lieutenant qui exerce auprès du Consul de France (Zeller p 100) : « Je me heurte à ces imbéciles qui, pistolets-mitrailleurs sur le ventre, culasse en arrière s’il vous plaît, m’arrachent à mon siège et me collent contre un mur avec une bande de malheureux Pieds-Noirs flageolant sur leurs jambes. Comment je m’en suis sorti, je ne l’ai jamais compris. »

Tout le monde n’a pas cette chance et les scènes sont parfois atroces ; les témoignages macabres abondent aujourd’hui, certains se recoupant de façon crédible : une femme suspendue à un croc de boucher non loin du cinéma Rex, des cadavres plus ou moins décapités ou énucléés, un homme lentement écrasé par un camion contre un mur… des cadavres ramassés dans les rues s’accumulent à la morgue du Centre hospitalier régional (p97), mais le plus grand nombre ne sera pas retrouvé car exécuté puis enfoui au bulldozer dans la décharge du lieu-dit Petit Lac (Zeller p103).

Difficile cependant d’avoir une relation d’ensemble précise et parfaitement assurée des événements pour au moins deux raisons : ceux qui étaient aux premières loges, les mieux placés pour témoigner, n’en sont pas revenus. Quant aux nombreux témoignages recueillis, souvent après un long délai, ils mêlent sans que l’on puisse toujours faire la part des choses, les observations directes au bouche à oreille. Pour autant, il s’agit bien d’un massacre d’….

 Une gravité hors norme

Du fait de son ampleur par le nombre de victimes : 700 morts européens et pour nombre d’analystes, c’est un minimum, sur un ensemble de 70 000 à 100 000 Européens soit beaucoup moins que les 150 000 habitants (2014) de Villeurbanne par exemple ; il faut y ajouter une centaine de Musulmans, francophiles le plus souvent.

Cependant, d’autres hécatombes de même ampleur n’ont guère laissé de traces: par exemple le bombardement de Vaise, guère plus vieux, soit le 26 mai 1944, mais bien plus proche géographiquement de nous, aurait causé la mort de quelque 720 personnes. Combien de Lyonnais en portent-ils encore la mémoire ?

Du fait des conditions du massacre : sa violence et le nombre de participants .

 Le bombardement aérien ne requiert aucune inhumanité particulière, pour ne pas dire aucun sadisme de la part des pilotes, les victimes apparaissent comme quasi virtuelles d’autant plus que sont visées des cibles militaires.

Le bilan de la crise de Bizerte (été 61) est du même ordre (630 Tunisiens, moins de 30 Français) ou encore celui de Souk-Ahras (639 « martyrs » du côté FLN en une semaine d’avril 58), mais il s’agit d’engagements purement militaires, entre deux armées, s’étalant par ailleurs sur plusieurs jours.

De même il se distingue de la fusillade du 26 mars 62 à Alger, événement bref (12 minutes?) largement déterminé par l’affolement d’une simple unité de tirailleurs dépassés par les circonstances, même si la thèse d’un massacre organisé est des plus plausibles (C Fouché, Ministre de l’intérieur, aurait revendiqué en 1968 la décision d’avoir fait ouvrir le feu ce 26 mars.)

L’analogie avec Oradour serait peut-être plus justifiée, mais les civils d’Oran n’avait pas à faire à des SS dont la froide violence n’était pas à démontrer, d’autant qu’à Oradour nous sommes encore en pleine guerre, le 10 juin 44.

D’autres analogies ne peuvent pas être évitées à savoir la bataille d’Alger de 56-57 ou la répression du 17 octobre 1961 à Paris : mais il s’agit encore là de faire face à des actes de belligérance ; la question mériterait, il est vrai, un développement à part entière,  notamment pour le très médiatisé 17 octobre.

Difficile tout de même de trouver l’équivalent de cette bacchanale infernale pour la France post 1945. Les conditions de La Saint Barthélémy, avec l’implication de la foule parisienne et ses 3000 morts, s’en rapprocherait mais il faudrait alors remonter pas moins de quatre siècles en arrière (24 août 1572).

Un dernier rapprochement, avec une catastrophe purement « civile »: la rupture du barrage de Malpasset le 2 décembre 1959: 420 morts. Un traumatisme suscitant un profond élan de solidarité nationale. De quoi mesurer un peu mieux la portée du black out  sur le massacre du 5 juillet 62, alors même qu’aucune fatalité ne pouvait être invoquée.

Et surtout du fait de la présence et passivité de l’armée française

En effet le massacre a lieu sous les yeux même de l’armée française dont les 18000 hommes demeurent consignés en caserne! Cher lecteur, prenez tout votre temps: celui de vous représenter les soldats français passifs, pendant des heures, alors que des centaines  de civils, leurs compatriotes, sont conduits au massacre devant leur nez et qu’ils peuvent éviter ce massacre sans  risques sérieux! Des images  (film de G Benamou) nous montrent ainsi des soldats casqués, tranquillement installés sur le toit de la Préfecture, le regard plongeant sur le spectacle offert par la  rue.

L’intervention d’un millier de ces hommes aurait suffi à éviter la tuerie.

Imagine t’on le massacre d’Oradour sous le nez de Leclerc ou De Lattre qui ne lèveraient pas le petit doigt ? A contrario, la France montera une périlleuse opération aéroportée en mai 1978 pour interrompre le massacre de civils à Kolwezi soit à plus de 10000 km (Zaïre). Son intervention tardive au Rwanda en 1994 lui sera lourdement reprochée.

Comment ne pas s’autoriser une comparaison actuelle pour mesurer la gravité exceptionnelle du fait? Avec l’opération commando en mai 2019 pour secourir nos quelques otages au Burkina Faso. Au risque de manifester une certaine subjectivité, oserait-on avancer que la France du Président Macron (« La France est une Nation qui n’abandonne jamais ses enfants » nous promet-il) revêt un visage plus sympathique que celle du Général De Gaulle en 1962, sans même faire cas de l’abandon encore plus dramatique des Harkis (5).

Ces éléments conjugués : son ampleur, ses conditions, la  complicité des autorités françaises, font du massacre du 5 juillet 1962 un événement d’une gravité tout à fait hors norme, qui pose questions.

 Trois questions s’imposent.

1) Le massacre est-il le fait d’une foule spontanée rendue folle furieuse par des coups de feu plus ou moins improvisés ?

C’est la version de ceux qui refusent d’en faire supporter la moindre responsabilité au FLN, par exemple Benjamin Stora. Mais l’explication de certains, en premier lieu le Général Katz selon lequel les tirs sont le fait de l’OAS, ne tient plus ; le responsable FLN de la Zone autonome d’Oran lui-même, le capitaine Bakhti, l’a écartée le soir même, puis le lendemain, M Laouari Souiah, préfet d’Oran (désigné par l’Exécutif provisoire) fera de même.

A t’il alors été sciemment provoqué sinon organisé ?

Nombreux sont ceux qui dénoncent une manœuvre de Ben Bella et Boumédienne : ce désordre aurait eu l’intérêt de mettre en évidence l’incurie du GPRA qui avait la responsabilité de la sécurité à Oran. En fin d’après-midi, les soldats de l’ALN de Boumédienne ont arrêté une cinquantaine (200 selon d’autres sources) de délinquants qu’ils présentent à la Presse, et annoncent leur exécution. La mise en scène est si théâtrale qu’elle laisse plus que soupçonner un montage. En fait, cette explication (Paya) ne fait pas l’unanimité chez ceux qui adhèrent à la thèse d’un massacre planifié. La responsabilité directe du FLN est incriminée chez plus d’un analyste (JJ Jordi…) sans que tous les fils de l’opération puissent être déroulés avec certitude : en fait le FLN est alors très divisé dans une structure floue plus complexe que le schéma proposé ci-dessus. (La piste Boussouf a t-elle été explorée?  Rappelons qu’ Abdelhafid Boussouf, spécialiste des techniques de manipulation et provocations,  prit la direction de la wilaya 5, en septembre 56, succédant à Ben M’hidi: la Sécurité Militaire de l’Algérie post 62 aurait émergé de la Wilaya 5.) En tout état de cause, la thèse du mouvement spontané n’apparaît guère crédible.

2) Comment expliquer la passivité de l’armée française alors même que ses camions circulaient en ville les jours précédents en assurant les Européens de sa protection pour trois ans ?

Sans développer ce point, signalons simplement que le général Kätz s’était déjà vu affublé de l’étiquette de « boucher d’Oran », mais assure qu’il n’a fait qu’appliquer les strictes consignes du Général De Gaulle réitérées, affirme t-il, le jour même par téléphone. Il recevra peu de temps après sa quatrième étoile, ce qui tendrait à confirmer ses dires. Le tout récent film « Oran, un massacre oublié » (2018), est d’ailleurs accablant pour le Général Kätz mais plus encore pour le Général de Gaulle qui aurait délibérément laissé commettre ce massacre. 

Rappelons cependant que certains gradés ont contrevenu aux ordres en particulier le capitaine Rabah Khéliff, un des promoteurs de la mosquée de Lyon, qui avec moins d’une compagnie (100 à 200 soldats?) évita que ne soient embarqués quelques 400 Européens vers une destinée plus qu’incertaine.

3) Mais la question qui nous intéresse aujourd’hui est le fait de savoir s’il s’agit d’une occultation fortuite ou d’une dissimulation.

 Un événement dissimulé

(dissimulé, qualificatif proposé par Jean Monneret me semble en fin de compte plus pertinent que « occulté » proposé dans un premier temps. Dans la dissimulation, il y a une volonté de cacher, de faire disparaître. De même « Massacre oublié » n’est pas tout à fait pertinent: comment pourrait-on oublier sans connaître au préalable?)

 

        De faux tabous en occultent un vrai

J’entends fuser les réactions: « le coup du tabou, de la chose cachée, on ne cesse pas de nous le faire à propos de la guerre d’Algérie!. »

C’est un fait, l’histoire de la guerre d’Algérie s’est largement prêtée à ce genre d’exercice . Trois exemples :

Le plus pratiqué concerne « la Torture ». Rien n’a été plus médiatisée que sa pratique par l’armée française et, quasiment à chaque fois le sujet est annoncé comme un tabou enfin dévoilé. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les documentaires archivés par l’INA : il s’agit bien du sujet qui revient le plus fréquemment, dans un document sur deux au moins, au delà même de la bataille d’Alger de 1957, où la torture fut effectivement instituée. (Moins spectaculaire mais tout aussi révélateur: dans le Dictionnaire des Intellectuels Français (Seuil, 2002), le premier article consacré à l’Algérie s’intitule « Algérie (la torture en) » ; autrement dit l’objet premier de nos intellectuels dans le conflit algérien, fut la torture, exclusivement pratiquée par l’armée française. Comme tabou, il y a plus discret.)

Résultat : chez nos jeunes actuellement, Guerre d’Algérie rime avec torture de l’armée française alors même que la torture fut le fait surtout et avant tout du FLN , (la torture serait demeurée une pratique algérienne banalisée, par exemple sur les très jeunes manifestants de 1988, et tout au long de la guerre civile des années 1990.)

Il faudra y revenir.

Deux autres événements ont été largement médiatisés selon le même processus: les 9 morts de Charonne et ceux de la répression de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris. La médiatisation est renforcée ici par des commémorations. Mais dans le cas du 5 juillet 62, il s’agit  d’…

        Une occultation bien réelle , et pas tout à fait fortuite  

La tragédie d’Oran, elle, a vraiment été occultée, pour ne pas dire escamotée jusqu’à récemment. Citons Guy Pervillé  (avril 2014) «  …plusieurs événements… mettent tous plus en moins en cause la responsabilité du gouvernement du général De Gaulle. Ce sont… la répression de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961 à Paris, celle de la manifestation anti OAS du 8 février 1962, également à Paris, au métro Charonne, puis la fusillade de la rue d’Isly à Alger le 26 mars 1962 et enfin le massacre du 5 juillet 1962 à Oran. Les deux derniers événements , parce qu’ils se sont passés très loin de Paris et parce qu’ils n’ont concerné que les Français d’Algérie, sont beaucoup moins connus de l’opinion métropolitaine, mais le dernier est assurément le plus méconnu de tous ; c’est pourtant celui dont le bilan est, et de très loin, le plus lourd. »

Philippe Labro (in Guillaume Zeller, mars 2012) précise que le drame du 17 octobre aura été raconté par trois livres et pas moins de 14 documentaires et fictions. Dans le cas du massacre d’Oran, en revanche, les écrits ont été très rares jusqu’à une date récente ( Jean Monneret 2006, JJ Jordi 2012). Aucun documentaire télévisé centré sur cette tragédie, ni fiction jusqu’à 2019 (6). Il s’agit bien d’une occultation sinon dissimulation.

Je me suis livré à un sondage qui confirme les propos de Pervillé et Labro.

Des références universitaires par exemple:

« Histoire de la guerre d’Algérie » d’Evelyne Lever du CNRS et surtout Bernard Droz, maître de conférence à Science Po Paris dans la collection Histoire de Seuil (1982) : sont relatés le 17 octobre 1961(p324), Charonne (8 février 62) (p330), la fusillade de la rue d’ Isly (p333) mais la responsabilité en incombe alors à l’OAS. Mention est faite d’ « horribles règlements de compte … durant l’été 62 » mais il s’agit manifestement du massacre des Harkis qui, soit dit en passant, s’étalant sur plusieurs mois, est d’une plus grande ampleur que celui du 5 juillet.

Donc manifestement rien sur Oran pour Sciences Po Paris en 1982.

Encore plus révélatrice est l’histoire de France sous la direction de Jean Favier où le 20ième siècle (1918-88) a été confié à une autre sommité, René Rémond sur plus de 1000 pages, on y trouve :

   –  9 lignes seulement sur le 17 octobre 61, pas de quoi réjouir François Hollande.

   – le développement sur Charonne est tout autre de la p 599 à 600. On y apprend , entre autres : « L’émotion est considérable et les obsèques des victimes y rassemblent un immense concours de peuple : plusieurs centaines de milliers de Parisiens les conduisent au Père-Lachaise dans un silence impressionnant . Les funérailles des victimes de Charonne, dont la télévision retransmet les images à la France entière, ont été un moment de l’histoire de la conscience française dans les années de la guerre d’Algérie… » Et pourtant, R Rémond n’a pas été un compagnon de route du PCF, (mais ne cachait pas ses sympathies pour le FLN)…

   – 5 juillet 1962 ; est clairement mentionné …. il s’agit de la levée de l’immunité parlementaire de Georges Bidault!! Rien d’autre. (Fayard 1988, soit 26 ans plus tard). Une telle ignorance, de la part d’une équipe d’historiens, notamment d’un politologue de premier plan, R Rémond, dont l’honnêteté ne saurait être mise en cause, voilà qui semble plus que révélateur de l’égarement de la « mémoire française ».

Après ces 2 références universitaires, le gotha du Tout Paris avec Alain Minc : une Histoire de France (Grasset 2008). Alain Minc est loin d’être un enthousiaste du régime algérien, pas plus qu’un contestataire gauchiste. Il aborde les questions du 17 octobre et de Charonne , mais pas un mot sur le 5 juillet ni même sur les Harkis.

Chronologie de l’Histoire de France de Bescherelle (Hatier 2015) : une demi-page sur le recours à la torture et la répression du 17 octobre ; évidemment rien sur le 5 juillet à Oran.

Yves Courrière, la référence médiatique sur la guerre d’Algérie avant que B Stora ne s’impose : sa Guerre d’Algérie éditée en 4 ou 5 tomes à partir de 1968 sera à juste titre un best-seller mais, s’achevant sur le 3 juillet, a fait disparaître le massacre du 5, (à ne pas confondre avec la série d’Historia qui suivra, dans laquelle il y a effectivement un compte rendu maladroit sur le 5 juillet de la part d’un Pied Noir.)

A l’étranger, l’historien anglais Alistair Horne avec son Histoire de la guerre d’Algérie (Albin Michel 1980) serait une référence : il consacre une dizaine de lignes à « l’incident » du 5 juillet présenté de manière assez fantaisiste.

La référence étrangère en titre est cependant Hartmut Elsenhans. Sa Guerre d’Algérie (« La Guerre d’Algérie 1954-1962, la transition d’une France à une autre, le passage de la IVe à la Ve République » Publisud 1999, 1072 pages d’une écriture dense.) est d’un volume probablement inégalé. Guy Pervillé en dit grand bien, seulement voilà, le massacre du 5 juillet est absent. Certes, il ne s’agit pas d’un ouvrage événementiel (Ce qui ne l’empêche pas de mentionner dans le détail les actes de terrorisme de la part des Européens: attentat de la rue de Thèbes etc…) mais d’analyse, plus précisément d’analyse marxiste avec le parti-pris inévitable en faveur du FLN largement identifié au « peuple algérien ». Pour autant, on ressent, en parcourant cet ouvrage, une volonté de saisir la réalité qu’on ne peut donc réduire à un simple propos de militant. La question se pose : comment, ayant rassemblé une telle masse d’informations, aurait-il pu ignorer l’évènement du 5 juillet et par la suite l’écarter ?

Voilà pour la littérature, mais l’audiovisuel ne semble pas mieux servi: ainsi le reportage de 1987 de Michel Rotman et Jean Labib, s’appuyant sur l’œuvre de Jean Lacouture « De Gaulle ou l’éternel défi ». Des moyens considérables pour ce film qui se veut une véritable synthèse sur le conflit algérien, des témoignages de toutes origines, les festivités du 3 juillet à Alger bien rendues, des propos compatissants à l’égard des Pieds- Noirs… sans une allusion au massacre d’Oran. Pour autant, faire de Jean Lacouture un dissimulateur est plus que douteux; il s’agit ici de simple ignorance.

Occultation n’est cependant pas disparition, bien des ouvrages relatent avec plus ou moins d’exactitude l’événement, mais il s’agit d’une diffusion soit confidentielle, (par exemple, l’histoire militaire de la guerre d’Algérie du colonel Henri le Mire, Albin Michel 1982, lui consacre 2 pages intéressantes 376 et 377, ), soit volontairement rendue insignifiante, ainsi par Benjamin Stora: dans son Histoire de la guerre d’Algérie Découverte 2004-2006, nous trouvons dans sa chronologie une formule particulièrement anodine «Enlèvements et exécutions de Pieds Noirs à Oran » Enlèvements et surtout exécutions ou assassinats s’étant opérés sur la durée du conflit. Dans la Gangrène et l’oubli (Découverte 2013 après 1998), « 4 juillet : début d’enlèvements et d’exécutions de Pieds Noirs et de Harkis à Oran. Les chiffres de ces exactions varient de 80 à 2000» Confusion qui n’a rien d’ innocent: date erronée, référence aux Harkis qui ne sont guère concernés par ce massacre du 5 juillet, statistiques des plus incertaines jetant le doute sur le sérieux des faits…

Parmi les exceptions, citons le travail de Geneviève de Ternant «L’agonie d’Oran » qui a rassemblé le produit de ses recherches, notamment des dizaines de témoignages triés avec un réel discernement, publiés à partir de 1999 en trois tomes, (mais avec quel tirage?).

Évidemment, ses conclusions sont loin de rejoindre celles de Fouad Soufi, qui dédouane plus ou moins le FLN; précisons que Fouad Soufi est historien et fonctionnaire algérien (le compte rendu sur Internet apparaît même en retrait sur les propos du capitaine Bakhti, responsable de la Zone autonome d’Oran). Dans les deux cas, la diffusion est fort limitée.

Le cinquantenaire de l’indépendance sera l’occasion de sortir cet événement de l’ombre avec  notamment trois ouvrages: celui de JJ Jordi « Un Silence d’État, les disparus civils européens de la guerre d’Algérie », (Ed Soteca 2012) ; celui de Guillaume Zeller « Oran 5 juillet 1962, un massacre oublié » (Taillandier 2012) qui disposait du privilège de travailler au Service Historique de l’Armée de Terre et enfin de l’universitaire Guy Pervillé « Oran, 5 juillet 1962 ; leçon d’histoire sur un massacre », travail d’une lecture quelque peu ardue, de confrontation de toutes les sources et travaux existants, on parle alors d’historiographie (Ed Vendémiaire 2014, http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=321). Rappelons bien sûr « La Tragédie dissimulée » de Jean Monneret (Ed Michalon 2006), le premier, semble t-il, à faire sortir cet événement de l’ombre avec un certain succès, ses sources étant cependant moins nombreuses. Mais pour Jean Monneret, il n’y a pas seulement occultation fortuite, mais bel et bien une volonté de dissimulation.

En effet pourquoi de telles difficultés à relater cet événement ? C’est assez évident, il met en difficulté l’État français qui a laissé faire, le FLN dont la responsabilité directe est, à juste titre me semble t-il, clairement évoquée, et plus encore l’intelligentsia française ayant pris partie pour le FLN.

Une dissimulation révélant une certaine intelligentsia

 Le 5 juillet 62 commence à sérieusement déranger un demi-siècle plus tard: confrontation Stora-Lledo

La réalité du massacre d’Oran une fois admise en 2012, un collectif autour de Jean Pierre Lledo tente d’en faire reconnaître l’importance par une pétition à visée internationale en 2013.

1 Jean-Pierre Lledo, pied-noir atypique, fait surgir l’événement au grand jour.

JP Lledo est né en 1947 à Tlemcen. Famille maternelle depuis 26 siècles en Algérie est-il annoncé (blog de Maïa Alonso), en fait juive, et de 5ième génération du côté de son père d’origine espagnole. Ses plus jeunes années se passent à Oran jusqu’en 1957. Quinze ans en 62, les années de guerre ont dû le marquer sans qu’il ait pu en être acteur. Mais son père est militant communiste et a lutté pour l’indépendance de l’Algérie, autrement dit du côté du FLN (site Kef Israël) , et acquiert la nationalité algérienne en 62. JP est donc un cinéaste (études à Moscou) franco-algérien ; mais son tempérament contestataire l’oblige à quitter l’Algérie du fait en particulier de la menace des Islamistes.

Son film, «  Histoires à ne pas dire », interdit de projection en Algérie aborde notamment la journée du 5 juillet ; le message du film n’est pas si facile à saisir en fait.

Surtout JP Lledo va donc contribuer au lancement d’une pétition le 5 juillet 2013 pour la reconnaissance de ce massacre.

2 La Pétition du 5 juillet 2013

                     PÉTITION INTERNATIONALE 5 Juillet 1962 à Oran, Algérie


« Le 5 juillet 1962 l’Algérie célèbre son indépendance, votée le 1er Juillet par référendum dans le cadre des « Accords d’Evian » du 18 Mars 1962 et reconnue par la France le 3 juillet.
Ce même jour à Oran, deuxième ville d’Algérie, a été commis un massacre au faciès de très grande envergure à l’encontre principalement des populations d’origine non-musulmane, chrétienne et juive, qui espéraient pouvoir rester et vivre en bonne entente avec les musulmans dans la nouvelle Algérie, mais aussi contre des musulmans dénoncés comme « traîtres ».
Durant toute une journée, à partir de 11h15, au même moment et dans tous les quartiers, et malgré la présence de 18.000 hommes de l’armée française, restés consignés sur ordre du commandement français dans ses cantonnements situés en pleine ville, des milliers de civils -femmes, enfants et hommes de tous âges- ont été raflés puis emmenés à pied ou dans des camions vers les commissariats et aussi vers d’immenses centres de détention, dont celui des Abattoirs. Quand ils n’étaient pas immédiatement livrés à la foule, lynchés et déchiquetés. La tuerie se poursuivit les jours suivants au sein de tous les centres de détention.
Ces faits sont connus de tous les Oranais présents ce jour-là, et si en Algérie ces massacres ont été tus par les officiels, ils restent indélébiles dans la mémoire des simples citoyens algériens musulmans, témoins passifs ou acteurs, parmi lesquels cependant certains assurèrent de diverses manières le salut de personnes dont le seul tort apparent était d’être d’origine juive ou chrétienne.
Et jusqu’à présent, à la périphérie d’Oran, « Le petit Lac » où furent jetés des centaines de cadavres est resté pour les Oranais un endroit funeste et hanté.
Combien y eut-il de tués et de « disparus » à jamais ? Plus de sept cents comme les travaux d’historiens l’ont déjà établi, et notamment le dernier en date, celui de Jean-Jacques Jordi (Un silence d’État, Les disparus civils européens de la guerre d’Algérie, Soteca, 2011), qui a pu avoir accès à certaines archives françaises. Tant que toutes les archives françaises et algériennes ne seront pas ouvertes, on pourra supposer que des milliers d’innocents connurent ce triste sort.
Mais quel que soit le nombre, l’ampleur du massacre, sa simultanéité dans tous les quartiers d’Oran, la mobilisation d’une immense logistique laissent penser qu’il a été programmé, organisé et coordonné à un très haut niveau, même si la participation à la curée d’une foule hystérisée a pu faire croire à des événements «spontanés» (c’est moi qui souligne)
Le 5 juillet 1962 , en ce premier jour de célébration de l’indépendance de l’Algérie, s’est donc commis à Oran un véritable crime contre l’humanité. Crime passé sous silence, comme le fut longtemps celui de Katyn, encore que là, la matérialité du massacre des officiers polonais ne fût jamais contestée, juste attribuée aux nazis, alors qu’il avait été le fait de l’armée soviétique.
Crime passé sous silence, comme tant d’autres encore! Mais 51 ans après, n’est-il pas temps que toute la lumière soit faite enfin sur ce massacre ?
51 ans après, n’est-il pas temps que les Archives algériennes et françaises soient enfin ouvertes à tous les historiens et qu’une enquête internationale digne de ce nom soit entreprise pour que l’on en mesure l’ampleur exacte ?
Telle est notre exigence.
Mais en attendant nous voulons faire savoir au monde que le 5 juillet 1962 en Algérie, deux jours après la déclaration officielle de son indépendance, il y a bien eu un massacre de civils à Oran.
C’est pourquoi nous, signataires, adressons notre message en ce 5 Juillet 2013, à toutes les organisations humanitaires internationales, comme à tous les citoyens du monde.Expliquez pourquoi les gens devraient soutenir cette pétition. »
Collectif contre l’oubli volontaire du massacre du 5 juillet à Oran –

Plus que la pétition en elle même, c’est la vive réaction qu’elle suscita publiée deux semaines plus tard , autour de Benjamin Stora, qui nous apparaît particulièrement révélatrice:

3 C’est alors que se manifeste la Galaxie Stora, pôle de la repentance.

La pétition Lledo susceptible d’un tout autre écho que la littérature confidentielle dévolue au 5 juillet jusqu’en 2012, impossible de l’ignorer: appuyé par tout un collectif, B Stora lance alors une contre-pétition. Suivons-le:

« Ne pas instrumentaliser les massacres du 5 Juillet 1962 à Oran »  (20/11/2013)

             « Le cinéaste documentariste Jean-Pierre Lledo a lancé le 5 novembre 2013 sur le site du Huffington Post une pétition internationale intitulée « 5 Juillet 1962 à Oran, Algérie », fondée sur une vision partielle des événements survenus à Oran le jour où était célébrée l’indépendance de l’Algérie, qui instrumentalise les massacres d’Européens perpétrés alors dans cette ville.

Les massacres d’Européens du 5 juillet à Oran ne doivent faire l’objet d’aucun déni. Il apparaît que les deux États n’ont pas communiqué aux familles des disparus toutes les informations qu’ils avaient pu réunir sur leur sort tragique et qu’elles étaient en droit d’attendre. Ces crimes méritent d’être encore davantage étudiés et reconnus.

Le film Algérie 1962. L’été où ma famille a disparu, par exemple, relatant l’enquête honnête et scrupuleuse que la documentariste Hélène Cohen a menée sur la disparition tragique de cinq membres de sa famille à Oran ou dans ses environs, mérite d’être davantage diffusé (cette famille n’a pas disparu à Oran même, ni le 5 juillet). Mais, en ce qui concerne les auteurs des ces crimes, tout en n’écartant l’examen d’aucune responsabilité, y compris au sein du Fln d’Oran ou de l’Aln des frontières, il ne faut pas non plus en venir à mettre en cause de manière globale et simpliste les indépendantistes algériens, ni négliger les nombreux témoignages qui relatent des faits de délinquance pure, commis dans un moment d’anarchie, de parcellisation extrême ou de vacance du pouvoir.

En affirmant que ces crimes sont « passés sous silence », ce sont en réalité les importants travaux d’historiens effectués depuis vingt ans, en France et en Algérie, sur ces massacres que cet appel passe sous silence. En isolant ces enlèvements et assassinats de leur contexte, il s’interdit d’en faire une véritable approche historique.

Or en 1993, l’historien Charles-Robert Ageron, dans sa préface à l’ouvrage du général Joseph Katz, L’honneur d’un général, Oran 1962, a expliqué comment cet officier français commandant du corps d’armée d’Oran, qu’il qualifie de « courageux défenseur de la République face à la rébellion de l’Oas à Oran », a servi la légalité en cherchant à éviter au maximum les victimes civiles parmi les Européens de la ville qui soutenaient alors majoritairement l’Oas. Il a décrit comment, durant les mois précédant l’indépendance proclamée le 5 juillet, l’Oas d’Oran, composée et commandée par des civils armés organisés en « collines », a déployé des actions dont ont été victimes, de manière ciblée, les éléments minoritaires de la population pied-noire qualifiés par eux de « gaullistes », « socialistes », « communistes » et autres « traîtres », ainsi que, de manière aveugle, les personnes de la population musulmane d’Oran.

Des quartiers où vivaient ces dernières furent l’objet de tirs de mortier; le 6 avril, par exemple, 14 Algériens ont été tués dont quatre carbonisés dans leur véhicule. Et la spécificité de ce drame du 5 juillet à Oran qui n’a heureusement pas eu d’équivalent dans les autres villes d’Algérie ne peut se comprendre si on omet le fait que l’Oas d’Oran, en refusant l’accord de cessez-le-feu que l’Oas d’Alger avait conclu le 17 juin avec le Fln, a continué pendant deux longues semaines à tuer, à détruire et à incendier au nom d’une folle stratégie de la terre brûlée.

Charles-Robert Ageron a donné le bilan publié officiellement par les autorités françaises, des victimes de ce terrorisme de l’Oas à Oran entre le 19 mars et 1er juillet 1962: 32 morts parmi les membres des forces de l’ordre françaises, 66 morts parmi les civils européens et 410 parmi les Algériens musulmans.

Des historiens algériens tels Fouad Soufi et Saddek Benkada ont publié aussi des travaux sur ce drame. En novembre 2000, lors d’un colloque à la Sorbonne en l’honneur de Charles-Robert Ageron, Fouad Soufi a montré notamment qu’à lui seul l’attentat aveugle de l’Oas du 28 février par un véhicule piégé qui a explosé en plein cœur du plus important quartier musulman d’Oran, la Ville Nouvelle, avait fait 35 tués dont une petite fille âgée de 10 ans et 50 blessés.

Il a rappelé la véritable guerre livrée par l’Oas à l’armée française, les assassinats par elle au mois de juin de ses officiers, le lieutenant-colonel Mariot le 12 juin, du général Ginestet et le médecin-commandant Mabille, en plein hôpital, le 15 juin. Ensuite, aux alentours du 27 juin, les commandos de l’Oas ont quitté la ville sur des chalutiers et autres navires qui les ont conduits en Espagne franquiste, avec leurs armes et les centaines de millions de francs résultant de leurs hold up faciles des mois précédents.

C’est dans ces conditions que le 5 juillet des crimes odieux ont été commis contre des civils européens, dont beaucoup n’étaient pas des extrémistes, se croyaient protégés par leurs bonnes relations avec des Algériens musulmans et étaient disposés à continuer à vivre là où ils avaient toujours vécu, dans l’Algérie indépendante.

Ce n’est pas en écrivant une histoire hémiplégique qui ne s’intéresse qu’à une seule catégorie de victimes, qui occulte le rôle crucial de l’Oas et isole ces crimes sans les replacer dans la longue suite de ceux qui les ont précédés, que l’on peut écrire réellement l’histoire, ni parvenir à une véritable reconnaissance réciproque de tous les drames qui ont marqué cette guerre. Les massacres d’Européens le 5 juillet 1962 doivent assurément être reconnus et éclairés, mais attention à ne pas s’écarter du nécessaire travail historique et ni à basculer dans une instrumentalisation partisane et caricaturale de l’histoireLes massacres d’Européens le 5 juillet 1962 doivent assurément être reconnus et éclairés, mais à les renvoyer, comme le fait Jean-Pierre Lledo, à une soi-disant barbarie inhérente aux Arabes, de l’Algérie d’alors à la Syrie d’aujourd’hui, on s’écarte du nécessaire travail historique et bascule dans une instrumentalisation partisane et caricaturale de l’histoire.» Les historiens: Dalila Aït-el-djoudi, Omar Carlier, Etienne Copeaux, Ali Guenoun, Mohammed Harbi, Jean-Robert Henry, James House, Gilles Manceron, Claire Mauss-Copeaux, Gilbert Meynier, Tramor Quemeneur, Alain Ruscio, Benjamin Stora.

Lhaouari Addi, sociologue,Sanhaja Akrouf, militante associative,Tewfik Allal, Manifeste des libertés,Sidi Mohammed Barkat, enseignant-chercheur, Yahia Belaskri, journaliste et écrivain,Ali Bensaad, géographe,Abderrahmane Bouchène, éditeur,Alice Cherki, psychanalyste,Hélène Cohen, auteur du documentaire Algérie 1962. L’été où ma famille a disparu, 2011,Ahmed Dahmani, universitaire,Pierre Daum, journaliste, auteur de Chronique d’un massacre annoncé Oran, 5 juillet 1962, Le Monde diplomatique, janvier 2012. Abdelkader Djemaï, écrivain, auteur de Une ville en temps de guerre, récit, Seuil, 2013. Sadek Hadjerès, responsable en 1962 du PCA clandestin, rédacteur au site Socialgérie,

Aziz Mouats, Université de Mostaganem, l’un des quatre personnages du film de Jean-Pierre Lledo, Algérie, histoires à ne pas dire, 2008. François Nadiras, webmestre du site LDH Toulon, Jacques Pradel, président de l’Association nationale des pieds-noirs progressistes et leurs amis (ANPNPA),Brahim Senouci, universitaire et Michèle Villanueva, auteur de L’écharde, Maurice Nadeau, 1992.

Cette réaction de la nébuleuse Stora est révélatrice. Considérons ces deux pétitions d’un peu plus près.

La première comporte deux volets : d’abord et avant tout la demande de reconnaissance publique d’un massacre de grande envergure à Oran le 5 juillet d’un minimum prouvé de 700 victimes , demande motivée par le fait qu’il a été passé sous silence pendant un demi-siècle.  

En même temps la pétition en propose une interprétation : moins irréfutable que le premier volet, celle-ci peut aisément prêter à discussion, encore que la réalité d’initiatives coordonnées ne puisse plus sérieusement faire de doute aujourd’hui .

Mais à elle seule la demande de reconnaissance publique d’un massacre d’une exceptionnelle envergure passée sous silence justifie amplement la pétition.

La contre-pétition va nous éclairer sur un point essentiel : en effet B Stora tire immédiatement partie de l’ambivalence de la pétition de JP Lledo. En dénonçant l’instrumentalisation des massacres du 5 juillet à Oran, il met en cause la signification qu’en donne JP Lledo. C’est son droit. Seulement voilà, ses propositions vont beaucoup plus loin : elles aboutissent concrètement à faire disparaître l’événement de la scène publique. C’est alors que nous commençons à saisir. Le silence durable sur ce massacre n’est pas le fruit d’un simple concours de circonstances. Il y a bien eu volonté de dissimulation, la galaxie Stora ayant notamment participé à cette dissimulation et persévérant dans cette attitude. Les nombreuses interventions de B Stora, tant sur les plateaux télévisés que par ses écrits, ne laissaient déjà plus planer le moindre doute.

Démonstration :

Premièrement : les familles de disparus n’ont pas été suffisamment informées, reconnaît-il. Première habileté : réduire l’événement à une affaire privée .

Deuxièmement : Le film Algérie 1962, l’Été où ma famille a disparu, auquel B Stora renvoie, ne concerne ni le 5 juillet, ni même directement Oran. Il tend à faire disparaître le massacre du 5 juillet dans la question plus vaste des disparitions d’Européens et tout en même temps à amoindrir sinon écarter les responsabilités du FLN.

Troisièmement : B Stora se refuse à reconnaître le caractère confidentiel de cet événement du 5 juillet, pendant un demi-siècle en invoquant les importants travaux des historiens depuis 20 ans , alors qu’il dispose d’une véritable expertise en matière de communication ; nul besoin pour ce spécialiste de recourir à ma démonstration (cf & « Une occultation bien réelle ») pour s’en convaincre. Tous les Oranais ayant vécu cette journée du 5 juillet peuvent en faire part : après l’exode, leurs témoignage sur le massacre n’étaient pas pris au sérieux par les métropolitains. Guillaume Zeller, par exemple, admet sa stupéfaction lors de ses investigations alors même qu’il était difficile de connaître situation aussi privilégiée que la sienne pour être informé.

Quatrièmement : B Stora met en cause le caractère « hémiplégique » de la pétition . De quoi faire sourire de la part d’un militant qui a consacré sa vie à médiatiser des événements de la guerre d’Algérie avec un parti-pris évident, un savoir-faire de trotskyste dans la contextualisation notamment la répression de la manifestation du FLN du 17 octobre 1961 : un travail est à faire sur l’investissement de la galaxie Stora en la matière, en comparant les traitements respectifs du 17 octobre et du 5 juillet, par exemple.

Évidemment le ressentiment d’une part de la population musulmane d’Oran suite aux exactions de l’OAS (parallèles à celles du FLN) était un terrain favorable aux instigateurs du massacre, mais une pétition ne peut prétendre au statut de thèse d’histoire.

A contrario, lorsque B Stora prétend n’écarter l’examen d’aucune responsabilité, y compris au sein du FLN d’Oran ou de l’ALN des frontières, il nous surprend vraiment tant il s’est montré expéditif lors de débats télévisés pour dédouaner le FLN, ce qu’un travail de recension pourra mettre en évidence.

Enfin, B Stora tente le coup de Jarnac en laissant entrevoir une pétition raciste (Lledo aurait évoqué une « soi-disant barbarie inhérente aux Arabes » d’après Stora); elle fait pour le moins sourire s’adressant à un juif algérien dont l’épouse est arabe !

En conclusion , la pétition de Lledo est amplement justifiée par la seule dissimulation sur un demi-siècle d’un événement historique majeur, celle de B Stora en s’efforçant de prolonger cette dissimulation nous éclaire sur son origine.

Nouveau rebondissement:

 L’affaire Audin relancée en septembre 2018 fait réémerger les clivages de 1962 au delà de la galaxie Stora

Beaucoup ont encore en mémoire la récente initiative du Président Macron à l’égard de la famille de Maurice Audin, jeune militant communiste qui, s’impliquant au côté du FLN , fut pris et éliminé par l’armée dans des circonstances non élucidées. M Audin est effectivement l’un parmi ces dizaines de milliers au moins de disparus à l’occasion de ce conflit et, pour faire bonne mesure notre Président a évoqué la nécessité d’ouvrir grand le dossier des disparus sachant que le plus grand nombre d’entre eux furent des victimes du FLN et non de l’armée française. Mais ce fait est encore loin d’être reconnu malgré les travaux récents et non réfutés de JJ Jordi (« Un Silence d’État: les disparus civils européens de la guerre d’Algérie« . SOTECA 2011).

En fait la question des disparus, dont ceux du 5 juillet 62 est l’une des plus tragiques illustrations, remet au grand jour les profondes divergences qui continuent à parcourir notre société.

Un survol du traitement médiatique de cette question des « disparus » montre que 56 ans après 1962, les clivages ont perduré presque à l’identique :

L’Humanité oriente ses lecteurs sur le site internet 1000autres.org : 850 disparus dénombrés qui , comme Audin, auraient été victimes de la seule armée française à l’exemple du militant communiste Marcel Audin.

Le Monde établit la même restriction en franchissant un pas de plus, c’est à dire qu’il focalise le débat sur la torture pratiquée par l’armée française en laissant la parole à Benjamin Stora et deux historiennes qui lui sont proches Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault.

L’Obs (13/9) suit la même voie avec un peu moins d’insistance

Libération (Wikipedia 6/11/18 : « fondé sous la protection de JP Sartre le journal paraît pour la première fois le 18 avril 1973 »), traite la question assez sobrement en mettant en exergue la torture française et la responsabilité de l’État français.

Le Point fait le point sur l’affaire Audin

La Croix reprend la position qu’elle occupait à l’époque : « les disparus » de la guerre d’Algérie se réduisent aux victimes de l’armée française lors de la bataille d’Alger (mais son courrier du 1er octobre fait tout de même référence à des disparus de l’autre camp)

Le Figaro commence par surprendre en s’appuyant sur Raphaëlle Branche et Alain Ruscio avant des articles d’une autre objectivité de Guillaume Perrault et surtout Guy Pervillé (14/9), puis Nasséra Dutour qui élargit le débat jusqu’aux disparus de la guerre civile des années 90.

On ne sera pas surpris en revanche par Valeurs actuelles avec Catherine Nay qui demande à prendre en compte les disparus des deux camps.

Enfin on appréciera Michel Renard (Directeur éditorial du site « Etudes Coloniales ») dans Marianne qui centre son article sur les disparus pied-noir, avant un article plus repentant de François-René Julliard.

Ce rapide survol de la presse nous montre assez clairement une majorité de nos media manifestant le même parti-pris,  plus d’un demi-siècle après le conflit algérien, par leur ignorance sur la réalité des disparus, dont on sait aujourd’hui avec certitude, qu’elle relève surtout de l’action du FLN.

Ce parti-pris traduit la permanence de l’hégémonie d’une intelligentsia avec son chef de file Benjamin Stora; ses positions ne manquent cependant pas d’intérêt lorsqu’il tente de promouvoir la distinction entre Mémoires et Histoire.

Historien de la repentance, B Stora se pose en arbitre des Mémoires

 Une distinction Mémoires- Histoire pertinente a priori

Compte tenu des nombreuses et profondes divergences qui demeurent sur la relation et l’interprétation de la guerre d’Algérie, les représentations de chacun des grands acteurs peuvent être prises en compte et respectées ; il s’agit des mémoires. Ainsi la mémoire des Pieds Noirs, celle de l’armée mais en distinguant clairement appelés et engagés, celle des harkis etc.. les découpages variant .

Les Mémoires sont de nature différente de l’Histoire, le fruit du travail des historiens qui rendent compte du passé de façon objective car leur travail est quasi scientifique (« écrire scientifiquement sur les disparus » est par exemple l’ambition de JJ Jordy). Tout au moins c’est ce à quoi prétendent ou aspirent les historiens. Il est vrai que la mémoire des groupes précités peut difficilement rivaliser en rigueur et en objectivité avec les travaux universitaires. Distinguer Mémoire et Histoire est a priori une innovation judicieuse mais va donner lieu à une véritable supercherie concernant l’Algérie.

Mais une distinction autorisant ici un subterfuge.

Subterfuge: ruse    Supercherie: tromperie calculée et exécutée avec subtilité, Larousse 1993

Cette distinction rencontre en effet ses limites. La frontière entre Mémoire et Histoire est poreuse au point que l’Histoire a été qualifiée de Mémoire Savante (par JP Rioux semble t-il) : à partir des mêmes sources, il est manifeste que le résultat de la recherche historique dépend de la sensibilité, de la personnalité même de l’historien qui va, par exemple sélectionner, valoriser certains éléments d’information et minimiser, voire omettre ceux qui tendent à contredire ses intuitions personnelles. Ce processus sélectif est inévitable, tout le passé ne pouvant être relaté, et ne met pas en cause a priori l’honnêteté intellectuelle de l’historien.

Il y a cependant subterfuge quand certains prétendent s’adjuger le monopole de la représentation des historiens, comme s’il y avait consensus chez les historiens, comme s’il apparaissait une Vérité unique émergeant de l’histoire , science dont le résultat s’imposerait à tous; comme si les historiens n’avaient pas une sensibilité et subjectivité propres et bien souvent des engagements politiques, bref un inévitable parti-pris. ( cf Henry Rousso).

Vous reconnaissez là, notamment, Benjamin Stora qui sur les nombreux plateaux de media parle à lui-seul au nom des historiens pour s’autoriser rien moins qu’une position d’arbitre au dessus des Mémoires ; et la plupart des media se prêtent à ce jeu avec complaisance.

Sa confrontation avec JP Lledo sur la journée du 5 juillet 62 rappelle, au contraire, l’engagement du militant qu’il a toujours été. Si vous jetez un coup d’œil sur la liste des cosignataires de sa réaction à la pétition de Llédo, vous y repérez essentiellement des personnalités qui, à un moment ou un autre, appartiennent ou ont appartenu à la mouvance du PCF (Alain Ruscio, G Meynier…) ou trotskyste comme Stora lui-même. Benjamin Stora ne peut parler au nom des Historiens, il demeure un historien particulier, soutenu par des militants d’une mouvance clairement identifiable.

(Aussi l’opposition Lledo- Stora est-elle frontale ; pour Stora le 5 juillet est à ranger dans la catégorie accident de parcours ou dommage collatéral ; pour Lledo, immergé dans la société algérienne pendant plus de 30 ans après l’indépendance, il s’agit d’un événement au contraire fondateur à double titre: opération annonçant les méthodes de la Sécurité Militaire, l’un des piliers sinon le pilier du futur pouvoir (à ce propos, le scénario des émeutes d’octobre 1988 tel que proposé par Mohamed Sifaoui dans « Où va l’Algérie » Ed du Cerf 2019, présente plus d’une similitude avec celui de Paya pour le 5 juillet 1962) ; par ailleurs illustration de la facilité avec laquelle le régime peut monter la population contre l’Européen ou plus largement l’Occidental, avec les Juifs en ligne de mire ; il ne resterait ainsi plus guère de Juifs aujourd’hui en Algérie).

Ainsi Stora ne fait pas seulement preuve d’une certaine subjectivité comme tout historien, mais plus encore d’un véritable militantisme: tout en occultant sciemment le massacre du 5 juillet il ne manquera pas une occasion de faire référence au 17 octobre 61 qui fait du FLN une pacifique victime. B Stora a ainsi tenté de promouvoir une histoire commune France-Algérie en collaboration avec Mohamed Harbi, l’un des responsables de la branche du FLN en France qui prit l’initiative de cette manifestation du 17.

A l’heure présente, Benjamin Stora domine la famille des historiens qui ont pris partie pour le FLN  réussissant largement à imposer leur vision en France depuis 1962 en particulier par l’École (Université et lycée) et les media .

Mettre clairement en évidence cette domination tout en démontrant son caractère partisan, voilà de quoi nourrir  un salutaire travail ultérieur.

Nous retrouvons en fait notre traditionnelle intelligentsia qui, malgré la succession inexorable de causes toujours perdues, nous allons y venir, n’a pas su faire sérieusement le deuil de son idéologie marxiste ou marxisante dégénérant encore et toujours en repentance .

Une Intelligentsia qui n’a de cesse de se fourvoyer et de nous fourvoyer.

 Elle demeure largement aux commandes

Sur la question algérienne, cette hégémonie se manifeste par exemple dans les programmes et les manuels scolaires (programmes 2011 et non pas 2018-19) par l’omniprésence des thèses de B Stora. Sur treize manuels, tous font référence parfois largement au 17 octobre 1961, Charonne est à peine moins traité, quant au 5 juillet 62, il doit se contenter  d’une photo peu compréhensible dans le Hachette (2012, p72) et d’une phrase dans le Nathan (2011 p280) « des dizaines de pieds-noirs sont assassinés » à Oran le 5 juillet. 

Nous avons tenté par ailleurs de montrer cette hégémonie en abordant la question du 19 mars 1962. Pourtant, notre intelligentsia se défend de toute repentance car on peut jouer sur les mots.

Effectivement, la repentance doit conduire à la pénitence. Strictement, il s’agirait du « regret de faute commise avec promesse de réparation ».

En fait l’usage actuel en élargit le sens au « sentiment de culpabilité » ou bien à la « culpabilisation », le fait de transmettre ou même d’imposer à l’autre un sentiment de culpabilité.

La repentance dont il est question aujourd’hui s’enracine dans l’histoire. Je ne connais pas les recherches sérieuses, si elles existent, sur ses antécédents historiques, mais elle se serait peut-être développée à partir des années cinquante. Nous n’en retiendrons ici qu’une forme, dominante aujourd’hui :

la repentance coloniale.

Quand le candidat Macron s’autorise à qualifier à Alger la colonisation de crime contre l’humanité, devinez qui le soutient après l’avoir probablement inspiré ?

Cette constance de la part de notre intelligentsia impressionne après les déconvenues auxquelles elle n’a cessé de se heurter. En effet…

 Elle n’a cessé de se fourvoyer

Au moins depuis le Congrès de Tours de 1920, une majorité de nos intellectuels n’a cessé de s’engager pour des causes plus douteuses les unes que les autres. Évoquons les rapidement.

Avant la guerre d’Algérie ce fut l’URSS de Lénine puis Staline au moins jusque dans les années 50. Le rapport Krouchtchev, puis la répression de Budapest en 1956 refroidirent quelques ardeurs mais arrivèrent à point nommé pour le FLN qui récupéra ainsi les nouvelles espérances révolutionnaires : Alain Minc montra combien la déception de Budapest incita par exemple JP Sartre à embrasser la cause FLN. L’enthousiasme des plus jeunes fut aussi capté par Mao avec le catastrophique Grand Bond en Avant de 1958, avant la sanglante Révolution Culturelle de 1965. Pour la petite histoire, rappelons que c’est la Chine,  quatre ans avant l’occupation militaire du Tibet, qui favorisa la reconnaissance du FLN par la communauté internationale (conférence de Bandung 1955),  l’URSS s’engageant plus prudemment.

Particulièrement révélatrice fut l’expérience Khmère rouge. Une large majorité de nos intellectuels et de nos media applaudirent la chute de Phnom Penh le 17 avril 1975 d’autant plus que les principaux dirigeants khmers Rouges furent formés à Paris. Difficile d’imaginer pire catastrophe politique et sociale (le terme d’autogénocide du peuple khmer est souvent admis), catastrophe qui aurait dû enfin dessiller les yeux de nos marxistes en 1979 ; ce ne fut pas le cas, mais pas du tout pour la majorité de nos intellectuels, nos donneurs de leçons se contentèrent de faire profil bas sans remise en question. B Stora avait 29 ans lorsque fut clairement reconnue la catastrophe cambodgienne, il n’en continua pas moins à assumer des responsabilités jusqu’en 1984 à l’OCI (Organisation Communiste Internationaliste avec Mélenchon, B Tavernier, Jospin… en revanche Edwy Plenel passa par la LCR, ligue Communiste Révolutionnaire de Krivine). L’implosion de l’URSS au début des années 90 n’a pas eu plus d’effet, l’idéologie trotskyste s’étant justement développée pour dédouaner le marxisme du peu enthousiasmant modèle soviétique depuis Staline.

Et c’est ainsi que notre rapport à la colonisation puis décolonisation demeure toujours sous l’emprise du fameux sens de l’histoire marxiste-léniniste malgré la chute du mur de Berlin (7).

Notamment pour l’Algérie où le triste bilan du FLN après plus d’un demi siècle est expliqué par l’habituel tour de passe-passe trotskiste à savoir que la juste «Révolution», une fois de plus, se serait trouvée confisquée : en Algérie l’opération de confiscation a été autrement plus rapide qu’en URSS ( Staline chasse Trotsky seulement en 1929) puisqu’elle s’est effectuée dans les semaines qui succédèrent à l’indépendance, lorsque l’équipe BenBella-Boumédienne prirent le dessus sur le GPRA. Les familiers de l’Algérie savaient combien le FLN devait au fondamentalisme musulman plus qu’à l’espérance marxiste (8), ce qui avait largement échappé à nos intellectuels marxisants pour lesquels la religion n’est qu’un épiphénomène (autrement dit un phénomène superficiel, non déterminant ; ceci dit, en l’absence d’Islam, rien ne permet de supposer qu’une révolution à caractère marxiste aurait mieux réussi en Algérie qu’ailleurs ; la collectivisation agricole, notamment, a été aussi calamiteuse que partout ailleurs.) .

Cette constance dans la repentance a trouvé un nouveau champ d’action: l’immigration. C’est ainsi que le lien peut s’établir entre une certaine approche de l’histoire algérienne et l’actualité, avec le même manque de lucidité. L’intelligentsia ne se contente pas de se fourvoyer, elle contribue à nous fourvoyer.

Funeste repentance face au défi migratoire

B Stora, figure de proue de notre intelligentsia pour la question algérienne, a su prendre en main bien des leviers de pouvoir et d’influence : c’est ainsi qu’il oriente le Musée de l’Immigration qui, à travers une certaine évocation du passé, tente d’être un véritable acteur de la politique d’immigration.

Stora n’y va pas avec le dos de la cuillère ; sur un mode patelin, son exposé rejoint quasiment celui du PIR (Parti des Indigènes de la République). Nous sommes redevables aux immigrants qui auraient reconstruit la France après 1945, certes, ajoute t-il conciliant, pas tout seuls. La représentation qui nous est proposée sinon imposée est alors la suivante :

Nous sommes responsables des difficultés de l’Afrique, produit de la colonisation, c’est à dire un vaste système d’exploitation.

Notre dette nous oblige à partager en accueillant les migrants, victimes de notre cruelle exploitation.

Nous devons les « inclure » : plus question d’assimilation, autrement dit les assister en les acceptant tels qu’ils sont ; en nous remettant en cause si nécessaire, ce ne serait alors que rendre justice à ces victimes de la France, en réparant nos erreurs passées.

Réponse déjà connue qui exigera un développement ultérieur :

1 les difficultés de l’Afrique ne sont pas le fruit d’une exploitation (au sens marxiste du terme car « l’exploitation » peut aussi être une mise en valeur), mais d’une acculturation an sens strict (Linton, Herskowits, Redfield) : par la mondialisation ou globalisation les Africains aspirent à un monde occidental plus ou moins imaginaire, alors même que leur culture, par suite leur comportement collectif n’autorise guère un développement à la hauteur de leurs rêves ou illusions. Le rapport de l’homme à la femme, et la fécondité au niveau exceptionnel des sociétés traditionnelles de pénurie sont, entre autres, caractéristiques de cette profonde incohérence, déstabilisant l’Afrique durablement.

2 Transférer en Europe les comportements collectifs qui dominent en Afrique ne peut qu’aboutir aux mêmes échecs à commencer par celui de l’intégration. Il n’y a pas de richesse particulière en Europe alors que l’Afrique regorge de ressources naturelles. La seule richesse réelle dont dispose l’Europe est la capacité de sa population à travailler ensemble dans un certain contexte culturel, ce qu’illustre par ailleurs la réussite asiatique dans un autre contexte culturel tout aussi économiquement performant.

Ajoutons que les déséquilibres démographiques de l’Afrique sont tels qu’on voit mal quel niveau d’émigration pourrait y remédier : les seules naissances au Nigéria en 2015 ont, par exemple, été plus nombreuses que celles de l’Europe des 28.

Concrètement, l’issue de la politique migratoire telle qu’inspirée par une certaine intelligentsia, c’est le modèle mahorais.

Vous retrouvez là une opposition déjà traditionnelle entre deux analyses : l’analyse marxisante d’une part, celle privilégiant les facteurs culturels de l’autre. Le rejet sans appel dès 2001 par une majorité d’intellectuels en France des conclusions de Huntington (le plus souvent sans l’avoir lu) est révélateur de la position de notre intelligentsia, celle, me semble t-il, d’un aveuglement persistant (9).

En conclusion dévoiler l’occultation volontaire des événements du 5 juillet 62 à Oran, la journée la plus meurtrière de tout le conflit algérien, n’est pas anodin; c’est contribuer à mettre à jour la sempiternelle domination d’une intelligentsia, orpheline de ses illusions du 20ième siècle; elle est parvenue à nous imposer, en jouant habilement de l’histoire et des mémoires, une représentation particulièrement tronquée du passé nourrissant le ressentiment à l’égard d’une France naïvement repentante.

Au delà de l’Algérie, il reste à faire apparaître comment toute une dynamique démographique, économique et politique africaine aberrante est engendrée par simple contact avec l’Occident depuis bientôt deux siècles; s’est ainsi enclenché un puissant mouvement migratoire face auquel ce sentiment injustifié de culpabilité (10) constitue l’une des pires réponses

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1) Pour autant, il ne s’agit pas  simplement de renvoyer dos à dos les deux protagonistes. Il n’y a pas selon nous équivalence. D’un côté le FLN, qualifié à juste titre de terroriste (par exemple dès 1954, pratique du nez et lèvres coupés sur les coreligionnaires peu respectueux de ses directives). De l’autre, un État de droit qui, face à l’absence de règles de l’ennemi, en viendra à transgresser ses propres règles dont le FLN savait habilement jouer. Ainsi les responsables d’attentats ou d’assassinats une fois capturés, prétendaient revendiquer le statut de prisonnier de guerre.

D’un autre côté, la thèse du FLN consiste à justifier le terrorisme comme arme du faible. [Reprendre la lecture]

2) Si Bakhti : Djelloul Nemiche est l’interlocuteur FLN des autorités françaises ; il est responsable de la ville érigée en zone autonome. «  En avril 1949, il avait fait partie du commando responsable du casse de la Grand-Poste d’Oran. L’homme éprouve de grandes difficultés à imposer son autorité au FLN d’Oran. Placés sous sa responsabilité, plusieurs secteurs s’affrontent, comme la Région 3 (Ville nouvelle) et la Région 4 (Lamur), tandis que les quartiers du Petit Lac et Victor-Hugo, décidés à s’affranchir de toute autorité, fonctionnent de manière autonome. » G Zeller p71. Si Bakhti est malheureusement décédé: le premier à avoir, contre son camp, réfuter la thèse de la responsabilité de l’OAS, il devait être particulièrement bien informé sur la réalité des responsabilités. [Reprendre la lecture]

3) le débat perdure aujourd’hui encore. Pour une majorité de Pieds Noirs, les accords du 18 mars leur laissaient le choix entre « La valise et le cercueil ». Pour une majorité de nos intellectuels, ce serait au contraire l’activisme de l’OAS refusant ces accords qui serait responsable du départ des Pieds Noirs. Sans prétendre ici  définitivement clore la question, signalons seulement la position de Aït Ahmed, l’un des rares démocrates fondateurs du FLN, qui accrédita celle des Pieds Noirs. [Reprendre la lecture]

4) La version récente (nov. 2019) de Wikipédia intitulé « Massacre d’Oran » est particulièrement documentée, notamment sur le déroulement des faits. Le bilan des victimes (encadré) apparaît cependant nettement sous-estimé, en contradiction avec le contenu même de l’article, semble t-il.  Il faudra donc y revenir. [Reprendre la lecture]

5) Bien que l’une des plus graves, le 5 juillet ne fut ni la seule, ni la dernière des avanies que la France du Gal De Gaulle accepta pour se débarrasser au plus vite du fardeau algérien. Le 17 juillet sur la plage de Sidi Ferruch, celle du débarquement de 1830, le consul (ou vice-consul?) de France se serait fait sodomiser en public, évènement autrement plus choquant que le  « coup d’éventail » reçu par son prédécesseur en 1827. Évidemment les autorités françaises auraient fermé là-aussi les yeux: « une certaine Idée de la France » disait le Gal De Gaulle. (il reste à vérifier la réalité de l’événement) [Reprendre la lecture]

6) Il a fallu attendre 2018 pour le film  réalisé par Jean-Charles Deniau et Georges-Marc Benamou « Oran, le massacre oublié ». FR3 devait en assurer la diffusion en 2018. La ville de Nice, grâce à Christian Estrosi, en aurait assuré , le 12 juillet 2019, la première diffusion autre que confidentielle. Finalement FR3 s’est décidé pour ce 5 septembre 2019, à une heure de faible écoute. [Reprendre la lecture]

7) En fait cette explication, d’une incontestable validité concernant la France, est bien insuffisante compte tenu de la force et peut-être de l’antériorité du mouvement de repentance coloniale américain. [Reprendre la lecture]

8) cf l’analyse fouillée et imparable de R Vétillard « La Dimension Religieuse de la Guerre d’Algérie » Atlantis 2018. Une synthèse de ce travail dans l’Algérianiste n°164 de décembre 2018, complété par celui de Gérard Crespo qui remonte au 19ième siècle. [Reprendre la lecture]

9) En matière d’aveuglement, la concurrence est rude entre nos intellectuels. Citons parmi les plus impressionnants,  Raphaël Liogier qui, grâce à son Observatoire du religieux d’Aix en Provence, dénonce le mythe de l’islamisation en France: il n’y aurait donc pas islamisation mais seule une montée de l’islamophobie en France. [Reprendre la lecture]

10) Demeurent cependant deux motifs légitimes à repentance: le fait d’avoir bâclé l’indépendance de l’Algérie en l’abandonnant à une faction (ainsi que le reconnut plus tard De Gaulle devant A Peyrefitte), et surtout l’abandon des harkis qui crurent en la parole de la France. [Reprendre la lecture]