L’Honneur pas les honneurs

17/04/2020 1 Par admin

« Pierre Montagnon, né en 1931, est saint-cyrien, officier de la Légion de 1954 à 1961, commandeur de la Légion d’honneur à titre militaire, historien et conférencier, lauréat de l’Académie française.

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« L’Honneur, pas les honneurs » retrace son parcours en Algérie de 1954 à 1962 dans les rangs des parachutistes de la Légion. Témoignage sur des combats qui, s’ils ne furent jamais ceux de Verdun, impliquèrent héroïsme et sacrifices des deux côtés. Témoignage sur la qualité de la troupe au sein de laquelle il avait l’honneur de servir. Témoignage sur des évènements où la politique rejoint le militaire: mai 1958 et le retour du Général de Gaulle, ainsi que la révolte des Centurions en avril 1961, à laquelle il prit part. Rendu à la vie civile, il ne renonce pas. Retourné clandestinement à Alger, pour faire face à l’inéluctable indépendance, il s’intègre à l’équipe qui sera baptisée le « Soviet des capitaines ». Dirigeant le secteur d’Hussein-Dey, il y mène la lutte contre le FLN, s’efforçant de structurer ceux qui résistent. Conscient que le véritable combat se situe dans l’Intérieur, il dirige fin mars 1962 le maquis de l’Ouarsenis réunissant une poignée d’Européens et des harkis du Bachaga Boualam. Afin d’éviter une lutte fratricide contre les forces gouvernementales, il doit, le 6 avril suivant, cesser son action. Si Pierre Montagnon affiche pleinement de quel côté son cœur battait, son témoignage se veut aussi un regard lucide et sans haine sur une terre que la France avait fécondée, mais où hélas les causes de révolte ne manquaient pas ». 

Ainsi titrées, « L’honneur pas les honneurs », les Mémoires de Pierre Montagnon ne sont pas vraiment dans l’air du temps.

En fait « l’honneur » n’est plus à l’honneur depuis des lustres, et ceux qui s’en prévalent se heurtent fréquemment à l’indifférence, sinon la défiance. Pour autant la trajectoire de Pierre Montagnon, exposée dans « L’Honneur pas les honneurs » nous apparaît devoir être proposée à titre d’exemple, toutes générations confondues.

                                          (cf claudebarriere.fr « S’opposer à la repentance dévoyée »)

Honneur :

1) Vif sentiment de dignité morale qui fait agir de manière à conserver l’estime de soi-même et des autres. (Larousse, 3vol 1966) 

2) Au pluriel : Distinctions qui récompensent, consacrent le mérite, la valeur, les services rendus, dans la société : rechercher les honneurs… (Larousse.fr)

L’honneur tel que perçu par Pierre Montagnon relève d’une morale hors de toute considération sociale, c’est un sentiment intime issu d’épreuves surmontées ; la reconnaissance officielle par la société est à distinguer de la considération effective. Illustration : les prisonniers politiques peuvent cumuler réprobation sociale et considération bien au-delà de leurs amis, parfois celle même de leurs juges.

Hélie de Saint Marc a précédé Pierre Montagnon dans l’honneur, tout en ayant conscience d’un certain discrédit de cette valeur :

« Les adolescents d’aujourd’hui ont peur d’employer des mots comme la fidélité, l’honneur, l’idéal ou le courage. Sans doute ont-ils l’impression que l’on joue avec ces valeurs – et que l’on joue avec eux. Ils savent que leurs aînés se sont abîmé les ailes. » (Hélie de saint-Marc)

Petite remontée dans le temps, nous éclairant sur l’origine de ce discrédit.

Manifestement

l’affaire Dreyfus (1895-1906) en porte une large responsabilité.

Les antidreyfusards prétendirent défendre l’honneur de l’armée, en refusant de reconsidérer le procès inique qui conduisit Dreyfus à Cayenne.

Pas question de nous replonger ici dans cette ténébreuse Affaire, ce conflit qui divisa profondément la France au tournant du XXième. Rappelons simplement combien « l’honneur» en fut une victime collatérale, puisque renvoyant exclusivement à une extrême droite nationaliste et antisémite (1). Avec un peu de recul, on ne comprend pas comment « l’honneur » s’est retrouvé confiné dans le camp du mensonge et de l’injustice.

Une conséquence à long terme sera, « selon l’historien Simon Epstein dans son ouvrage Les Dreyfusards sous l’Occupation, de permettre la généralisation d’une interprétation particulière de l’Histoire de France selon laquelle s’opposeraient deux blocs l’un, à Gauche, incarnant le Bien et l’autre, à Droite, identifié au Mal. Cette réécriture de l’histoire séparant deux France se poursuit durant tout le début du XXe siècle pour finalement présenter la Résistance comme l’héritière du parti dreyfusard et inversement la Collaboration comme celle des anti-dreyfusards. » Wikipedia Affaire Dreyfus 26 mars 2020.

La Seconde Guerre fut en effet l’occasion d’enfoncer le clou. Dans le camp pétainiste, ne manquèrent pas les appels à l’honneur. Celui de Darnand (2), en particulier, va spectaculairement associer l’honneur à la collaboration par la Légion française des combattants où l’on prête serment :

« Je jure de continuer de servir la France avec honneur comme je l’ai servie sous les armes. Je jure de consacrer toutes mes forces à la patrie, à la famille, et au travail. » Honneur, travail, famille, patrie, autant de vraies valeurs, mais dévoyées par les circonstances ; car, de cette Légion, émergera la Milice française, instrument supplétif de la Gestapo.

Rien d’étonnant si depuis 1945 , « l’honneur » n’a guère cessé d’être associé à une extrême-droite particulièrement obtuse ; associé par l’École, le monde des media (3), bref toute une intelligentsia dominée à son tour par une idéologie mortifère.

Le marxisme fait table rase des valeurs du vieux monde    

 L’intelligentsia française a été particulièrement fascinée par l’idéologie marxiste, hégémonique après la chute du nazisme son frère ennemi (4) .

Cette idéologie « révolutionnaire » commence par faire table rase des valeurs du vieux monde; les valeurs « bourgeoises » bien sûr, et dans la foulée celles de la noblesse telles l’honneur, vieil oripeau de l’âge féodal (9).

Aussi la guerre d’Indochine, de fin 1946 à 1954, sera t’elle perçue comme un simple conflit « colonialiste » s’opposant au sens de l’histoire. Ce dernier est défini scientifiquement par le matérialisme historique, « science » qui, comme tout un chacun le sait, ne tolère aucun sentimentalisme pour les épiphénomènes que sont les drames humains. Pour autant, toute dimension morale n’est pas écartée. Le PCF parviendra à lui imposer son slogan: ce sera « la sale guerre » ; la France s’en désintéresse tout au moins jusqu’à la défaite de Dien Bien Phu en 1954, et l’abandon de bien de nos compagnons de route. Certes la France est loin d’être toute acquise au PCF dont les députés ne se lèveront même pas à l’annonce de la chute de Diên Biên Phu par Joseph Laniel à la tribune de l’Assemblée Nationale, mais la page est vite tournée.

Sensuit le conflit algérien.

Des Universitaires dénoncent une dialectique simpliste de l’honneur

Tout semblerait se répéter à nouveau : l’armée se serait opposée à la juste émancipation de l’Algérie en s’appuyant, une fois de plus, sur un honneur quelque peu dévoyé.

Ainsi « l’Histoire de la guerre d’Algérie » de Bernard Droz et Évelyne Lever, une référence universitaire, mentionne la  dialectique simpliste de l’honneur  de l’armée « qui a inutilement attisé les haines entre Français ».

Difficile de rejoindre ici nos universitaires dont la hauteur de vue leur font peut-être négliger certaines réalités plus terre à terre. Voyons ce qu’il en ait :

En 1954, de Pierre Mendès-France (5) au Général De Gaulle, la France se montre quasi unanime : l’Algérie est française et le FLN est l’ennemi irréductible.

Ce n’est donc pas l’armée de métier qui, de son propre chef, définit la position de la France en 1954 et engage la répression du mouvement FLN. L’armée française demeure légaliste ; moins qu’en 1939 cependant, la deuxième guerre ayant momentanément mais clairement dissocié pour la France, légalité et légitimité, et la guerre d’Indochine ayant nourri une certaine méfiance à l’égard des Politiques.

Ce n’est pas non plus l’armée qui décide d’intervenir en 1956 à Suez, où le pouvoir politique parvient à mettre cette armée à nouveau en porte à faux.

En revanche, l’armée intervient dans le désordre politique de mai 1958, sans en avoir cependant pris l’initiative. De Gaulle doit alors à l’armée, enclenchant l’opération Résurrection, son retour au pouvoir comme Président du Conseil le 1er juin 1958, bien que les formes de la légalité soient respectées. Les subtilités du politique échappant largement aux militaires, le malentendu va aboutir à ce qu’il faut bien qualifier une tragédie fort peu honorable pour la France.

Politique machiavélien (pléonasme?), ce personnage charismatique qu’était De Gaulle, a su masquer ses réelles intentions : se débarrasser au plus vite du fardeau algérien , objectif aux antipodes du message qu’il n’a cessé d’envoyer par l’intermédiaire de ses proches, tel Michel Debré, Garde des Sceaux du Général avant d’occuper la charge de Premier Ministre. Michel Debré s’exprima d’une façon on ne peut plus radicale, notamment dans le Courrier de la Colère, le 20 décembre 1957 :

« Que les Algériens sachent surtout que l’abandon de la souveraineté française en Algérie est un acte illégitime, c’est-à-dire qu’il met ceux qui le commettent et qui s’en rendent complices hors la loi, et ceux qui s’y opposent, quel que soit le moyen employé, en état légal de légitime défense. »

Insistons sur le fait : vous avez sous les yeux le message d’un homme-lige du général De Gaulle, à la fois rédacteur de sa Constitution de 1958 et son Premier Ministre jusqu’aux Accords d’Évian de 1962, abandonnant l’Algérie au seul FLN.

Les premières déclarations du Général en Algérie en juin 1958 définissent clairement le cap à l’armée, aux Pieds Noirs, sans oublier les dizaines de milliers de musulmans qui vont s’engager pour la France. Jugez-en par vous-même :

4 juin Alger : « Je vous ai compris… Il n’y a plus ici que dix millions de Français à part entière, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs »

5 juin Bône , s’adressant aux Musulmans : « Venez à la France, elle ne vous trahira pas ! »

6 juin à Oran (seule grande ville à majorité européenne) : « L’Algérie est organiquement une terre française, aujourd’hui et pour toujours ! »

6 juin à Mostaganem, devant une foule en majorité musulmane, il achève par : « Vive l’Algérie française ! Vive la République ! Vive la France ! »

Trois semaines auparavant, les fraternisations du 16 mai devant le forum d’Alger, bien loin d’être une mascarade, avaient ouvert la voie.

Pour faire simple, les Musulmans vont alors se diviser en trois catégories (6) : une majorité d’attentistes (…de même qu’en France de 1940 à 1945) et deux minorités plus résolues. Celle qui rejoint le FLN, et celle, plus nombreuse mais inorganisée, qui accorde sa confiance à la France. Tous sont appelés à le rejoindre par le Général De Gaulle en 1958, et nombreux sont ceux qui prennent alors le parti de la France.

Jusqu’au moment où le Général De Gaulle opéra un tournant à 180° en lâchant l’Algérie (par étapes, du discours de septembre 59, à sa tournée de décembre 1960 annonçant le référendum sur l’autodétermination), le FLN avait réellement perdu la bataille sur le terrain, la question ne fait plus débat.

Rappelons qu’en juin 1960, Si Salah l’un des derniers chefs historiques sur le terrain, acceptait la « Paix des Braves » proposée par le général De Gaulle en 1958. Autrement dit, le FLN, malgré l’appui d’une majorité de puissances étrangères (de la Ligue arabe aux États-Unis, de la Chine à l’URSS), a été tout à fait incapable d’une résistance équivalente à celle des Talibans en Afghanistan, dépourvus eux de sérieux soutiens étrangers.

C’est dire si une partie notable de l’Algérie penchait pour la France (7), à commencer ceux, nombreux, qui choisirent d’aller travailler dans l’hexagone pendant le conflit ( sans se libérer pour autant du FLN).

 L’honneur ou le respect de la parole donnée aux Harkis

Rappelons alors que la « dialectique simpliste » dénoncée par nos universitaires consistait, entre autre, à refuser de remettre à l’ennemi, après les avoir désarmés, ceux qui s’étaient engagés du côté de la France avec les assurances du Chef de l’État, le Général De Gaulle. « La dialectique simpliste de l’honneur », ce fut la tentative de s’opposer à ce qu’il faut bien qualifier, si les mots ont un sens, une ignominie. Son échec, ce fut le « lâche soulagement » et des dizaines de milliers d’arabo-musulmans, les Harkis et autres supplétifs, massacrés dans des conditions atroces parce qu’ils avaient cru en la France.

Dans le « Deuxième procès » film de Patrick Jeudy, Hélie de Saint Marc insiste sur son engagement à protéger les Musulmans ouvertement francophiles et sur l’enrôlement des Harkis. Et Messmer, alors Premier Ministre, de lui répondre : « Mais qui lui a ordonné d’impliquer la population musulmane ? Personne ! ». Le Messmer d’après 1962 a simplement tourné le dos au Messmer de 1959. Quant au Général De Gaulle, il décorera en personne les membres du commando George, avant de se débarrasser, selon ses propres termes, de « cette piétaille » qui terminera ébouillantée vive par le FLN.

5juin 1958: « Venez à la France, elle ne vous trahira pas ! »

23 oct 59 : « À quelles hécatombes condamnerions-nous ce pays, si nous étions assez stupides et assez lâches pour l’abandonner. »

Nombreux sont les acteurs conscients du caractère immoral (8) des conditions de cette volte-face. Beaucoup moins nombreux sont ceux qui, tels Hélie de Saint Marc ou Pierre Montagnon, la refusèrent par leurs actes, puis en payèrent le prix fort.

A posteriori, la politique du général est justifiée par le caractère inéluctable de l’indépendance l’Algérie, ce dont on convient aujourd’hui. L’Algérie française était une illusion : l’éthique de responsabilité aurait-elle simplement prévalu sur une éthique de conviction aveugle ? Sauf qu’il existait bien des alternatives : rien n’obligeait à remettre l’Algérie à cette faction qu’était le FLN, à l’abandon des Pieds Noirs et plus encore des Harkis ; rien de tout cela n’était inéluctable comme a su le montrer, entre autres, Alain Peyrefitte.

La guerre civile des années 90, l’état déplorable de l’Algérie en 2020 et celui de ses relations avec la France démontrent le peu de légitimité du FLN; et par là combien l’honneur en 1961-62 ne s’opposait pas au sens des responsabilités (10).

– Et pas plus qu’en 1962, l’honneur est loin d’être une valeur désuète de nos jours.

 

De la guerre d’Algérie à aujourd’hui, le cours de l’histoire ne s’est pas interrompu. Mai 68 est un révélateur et un accélérateur: arrive aux commandes une génération qui n’a pas affronté d’épreuves collectives, une première en France. Les repères, les valeurs ne peuvent manquer de s’en ressentir, déstabilisés par la société de consommation émergente. L’espérance marxiste plombée par la prise de conscience, combien hésitante, des réalités stalinienne et maoïste, ne se remettra pas de la chute du mur de Berlin, bien que le pli perdure avec le vestige du PCF, surtout la nébuleuse trotskyste insérée dans les rouages publics. Fukuyama annonce la fin de l’Histoire, victoire définitive du libéralisme sur le marxisme par KO. Comme un vide. L’erreur est  relevée avec une certaine clairvoyance par Samuel Huntington. C’est le Choc des Civilisations analysé dès 1993, dévoilé lors du 11 septembre 2001, et immédiatement  dénié par une Intelligentsia française avec sa lucidité coutumière. Commerce et argent, réhabilités lors des années Tapie,  tiennent encore largement les premiers rôles derrière le paravent des Droits de l’homme ramené au consommateur. HEC s’est substitué à l’ÉNA ; le Service public et la Découverte scientifique cèdent la pas à la Finance, dans une France qui se singularise, sans en avoir conscience, par son athéisme. Champ libre à l’Islam, de Bischwiller à Lyon l’appel du Muezzin se fait entendre le jour de l’Annonciation 2020.

Le désenchantement de Marcel Gauchet, ce n’est pas pour tout de suite. Les valeurs n’ont pas rendu les derniers honneurs. Un fait parmi bien d’autres:

Ainsi, l’abandon ostensible en octobre 2019 par Trump de ceux qui ont versé le plus lourd tribut dans la victoire sur Daech, les Kurdes, n’a pas été sans choquer, pas seulement aux États-Unis : le sens de l’honneur repointerait-il son nez ?

Tout en même temps la volonté d’éviter un tel déshonneur exprimée par E Macron, mais sans donner suite, s’est heurté à notre impuissance objective sur le terrain. Circonstances atténuantes .

La question des interprètes afghans est tout autre : quand la France se révèle incapable d’empêcher l’entrée de dizaines de milliers d’immigrés illégaux peu enclins à s’intégrer, et tout aussi incapable d’accueillir quelques centaines d’Afghans qui se sont compromis pour elle , la légèreté française se marie une fois de plus avec le déshonneur .

https://www.lci.fr/population/afghanistan-les-cles-pour-comprendre-l-affaire-des-interpretes-afghans-de-l-armee-francaise-remise-en-lumiere-avec-la-sortie-de-l-enquete-tarjuman-2112177.html

                                                    XXX

1)  « Soldats, on dégrade un innocent, soldats on déshonore un innocent. Vive la France ! Vive l’armée ! » s’écrie Dreyfus au moment de sa dégradation. Jusqu’à sa réhabilitation en 1906, le comportement d’Alfred Dreyfus fut d’une dignité exemplaire, l’honneur était indubitablement de son côté. Dreyfus lui- même a donc revendiqué l’honneur, à juste titre. On comprend mal comment l’école continue à associer, quasi exclusivement, honneur à antidreyfusards.

Ceci dit, sans qu’il soit ici question de remonter aux racines de l’antisémitisme, évoquons la difficulté parfois à concilier honneur et monde de l’argent et des affaires, terrain de prédilection pour les Juifs du fait de circonstances historiques, notamment leur mise à l’écart au Moyen-Âge.

2) Darnand est l’illustration des divisions de la France après 1940, tout en même temps d’un aveuglement idéologique, d’où son égarement après 40. En revanche, son talent et son courage ne se sont jamais démentis dans la lutte contre l’Allemagne de la 1ère guerre 14-18 à 1940 . Après la Libération, Georges Bernanos dira : « s’il y avait eu plus de Darnand en 1940, il n’y aurait pas eu de miliciens en 1944 ».

3) Une illustration : l’acteur Jérôme Monod incarne admirablement ce cliché dans « les Cinq dernières minutes » en 1961 (épisode « Quand le vin est tiré »). Patriarche rigide et autoritaire écrasant sa famille, et nécessairement antisémite ; il aurait assassiné son gendre pour défendre l’honneur » de la famille.

Ce cliché n’a guère cessé d’imprégner nos media depuis

des décennies.

4) Qualificatif fort justement proposé par le théologien jésuite Henri Madelin .

5) Pierre Mendès France déclarait au lendemain des premiers attentats, le 12 novembre 1954 :  « L ‘Algérie, c’est la France, et non un pays étranger… On ne transige pas quand il s’agit de défendre la paix intérieure de la nation, l’unité et l’intégrité de la République. » Le message de PMF est, on ne peut plus clair ; il ne transigera pas ! Et PMF a gardé une image de grande rectitude, une prouesse.

6) En fait, certains, dans l’incertitude, joueront sur les deux tableaux (cf: »Mon père, ce harki » Dalila Kerchouche Seuil 2003, etc.).

7) « Pencher pour la France », est perçu par le FLN comme synonyme de traîtrise, rien de très étonnant a priori; encore qu’en matière de traîtrise à l’égard des harkis, le FLN soit passé maître après le 19 mars 1962. Mais qu’il fasse de la France une vache à lait (Bouteflika au Val de Grâce etc.), demande et obtienne toujours plus de visas pour les siens, relève de la schizophrénie. Que notre intelligentsia lui emboîte le pas et même l’ai précédé, pose un sérieux problème de fond. Vieux problème en fait, vieux de plus d’un demi siècle.

8) À n’en pas douter le déshonneur peut-être source de tourment, en témoigne le Général Kätz : exécutant fidèle et brutal de la volte-face gaullienne, il se vit affublé du titre peu enviable de « boucher d’Oran » par les Pieds Noirs qu’il laissa se faire massacrer en connaissance de cause le 5 juillet 1962 . Sa carrière militaire en fut manifestement accélérée mais il éprouva le besoin de se déculpabiliser en publiant « L’Honneur d’un Général » que Charles-Robert Ageron n’a pas hésité à préfacer en 1993 au risque d’écorner sérieusement sa propre crédibilité, tant cette plaidoirie est peu convaincante ainsi que l’a démontré Guy Pervillé. En revanche le choix final du Général Edgar de Larminat est d’une tout autre altitude, à la dimension d’une carrière militaire exceptionnelle.

9) En fait l’honneur du soldat chancelle à différentes époques, par exemple avec la disparition de la chevalerie. La guerre de cent ans est une étape décisive. La chevalerie française enchaînera les échecs. À Crécy, les bombardes anglaises n’ont que faire de la bravoure des Chevaliers surtout décimés par de « vils » archers. Jean II le Bon, se gardant à droite et à gauche, signe le désastre de Poitiers. Il ira jusqu’à retourner se livrer aux Anglais le 3 janvier 1364 après la fuite de son fils détenu en otage. Même scénario un demi-siècle plus tard : les Français respectent des règles de chevalerie qui feraient plus qu’étonner aujourd’hui (les prisonniers de Rouen libérés sur parole, se reconstituant prisonniers), alors qu’à Azincourt (1415) les Anglais, inquiets sur leurs arrières, massacrent leurs prisonniers en dehors de toute règle. Si les chevaliers français avec Jeanne d’Arc prennent leur revanche sur les archers anglais à Patay, la victoire définitive de Castillon (1453) ne le doit pas tant à la bravoure qu’à la discipline des troupes et l’artillerie moderne des frères Bureau.

Bayard tué d’un coup d’arquebuse dans le dos (1524) est le signal de la fin de la chevalerie française, avant la défaite de Pavie où François Ier a encore tout perdu, « fors l’honneur ». En écho leur répond la mort de Kyozo, le plus imposant des sept Samouraï de Kurosawa, par l’arme à feu d’un brigand. Pour autant, avec le colt du Far-Ouest, resurgit un certain code de l’honneur.

En fait la puissance des armes, la montée des effectifs et des enjeux  peuvent-elles laisser la même place aux principes et à l’honneur? Les armées de la Révolution ne risquent guère de pratiquer les démonstrations de politesse de Fontenoy et il serait délicat d’entretenir le souvenir des quelques Chevaliers de la Couronne de Condé qui tinrent encore en échec, par leur bravoure, les révolutionnaires de Moreau le 2 octobre 1793.

On aurait pu supposer que le 20ième siècle, de l’hécatombe de la 1ère Guerre mondiale à l’ère nucléaire, expulserait l’honneur du champ de bataille. La Légion étrangère, sans prétendre au moindre monopole, nous démontre encore le contraire. Et comment qualifier l’interdiction faite aux soldats de l’opération Barkhane de tirer dans le dos d’un fuyard?

L’honneur n’a pas disparu, celui d’une personne, d’un régiment, d’une ville jusqu’à la nation.

10) Rappelons combien Albert Camus s’opposait au FLN et Jean Daniel a, sur le tard,  clairement laissé entendre qu’une solution française aurait été préférable à celle de 1962.